Dr Jekyll ou Mister Attal ?

La lettre de « Lève les yeux »

« Concernant l’usage des écrans à la maison, nous sommes proches d’une catastrophe sanitaire et éducative ». Manifeste d’un nouveau groupe néo-luddite ? Tract du Collectif attention ? Non, déclaration du ministre français de l’Education nationale, M. Gabriel Attal, dans le Figaro le 30 novembre dernier. Cinq jours plus tard, le même ministre d’annoncer l’entrée progressive de l’intelligence artificielle comme outil d’éducation pour les lycéens, se faisant le VRP d’une application privée, MIA Seconde.

Pour beaucoup de gens, et à fortiori parmi les dirigeants politiques, il n’y a là aucune contradiction entre ces propos. Les écrans ne posent des problèmes que s’ils sont « mal utilisés ». Apprenons leur « bon usage », et tout ira bien dans le meilleur des mondes, comme le répètent les messages de prévention financés par le gratin de l’industrie numérique, et diffusés par exemple par le gouvernement sur la plateforme « Je protège mon enfant ».

Il faut relire Jacques Ellul, ou aller voir sur le terrain, dans les classes, la réalité, pour mesurer qu’on est bien loin du conte de fées technologique. C’est le quotidien de l’association Lève les yeux, qui observe que de plus en plus d’élèves sont surexposés aux écrans, incapables de se concentrer et donc de mémoriser, d’apprendre. Certains passent plus de temps à discuter avec My AI, l’application de Snapchat (autrement dit un robot), qu’avec de vrais amis. Isolement, cyberharcèlement, exposition aux contenus choquants, radicalisation sont des maux qui grandissent à mesure que le temps d’écran explose. L’école, plus que jamais, doit devenir un allié et protéger notre jeunesse du péril numérique, prendre exemple sur la Suède et revenir aux livres et cahiers en plus de mener une réelle prévention – c’est le sens de la tribune du CoSE que nous avons soutenue, parue dans le Figaro.

Ce sera l’objet de nos discussions, entre autres, avec les meilleurs spécialistes et acteurs de terrain, le 27 janvier 2024 à l’Académie du climat, à Paris.

** **

Assises de l’attention 2024 : Quelle démocratie à l’ère numérique ?

Le 27 janvier prochain, à l’Académie du Climat (Paris, 4ème), le Collectif Attention organise les 3èmes Assises de l’attention, autour du thème « Quelle démocratie à l’ère numérique ? ». Au programme : tables rondes, conférences, librairie, ateliers pour les enfants, forum des associations, initiatives… Un évènement 100% déconnecté et gratuit, sur inscription.

inscrivez-vous, les places partent comme des petits pains chauds : presque 200 personnes sont déjà inscrites !

** **

«Le “sursaut collectif” n’aura pas lieu sans une cohérence gouvernementale»

Par Tribune collective ; article paru dans figarovox

«Les temps d’écrans des enfants et des parents ont décollé avec le Covid, aggravant la technoférence, retardant le langage, altérant le sommeil.»

Le ministre de l’Éducation nationale a appelé ce lundi 13 novembre à un sursaut collectif sur la surexposition aux écrans des plus jeunes. Le Collectif surexposition écrans, dont fait partie la psychologue clinicienne Sabine Duflo, pointe du doigt les contradictions de l’exécutif sur ce sujet.

Dans un entretien au Parisien, le 13 novembre, le ministre de l’Éducation nationale, appelle à un «sursaut collectif» . Devant les résultats décevants en CP et en 4e, il se dit inquiet « des résultats et des remontées du terrain » et souligne la responsabilité des écrans dans les troubles du sommeil comme de l’attention rapportés par les enseignants.

Depuis 2017 nous membres du Collectif surexposition écrans, avons lancé l’alerte et créé ce terme de surexposition aux écrans pour rendre compte d’un constat de terrain. Avec les associations partenaires regroupées au sein du Collectif attention, nous avons dénoncé la manipulation de notre attention, en particulier celle des plus jeunes, par les différentes plateformes dans une visée commerciale et émis des propositions à l’intention des décideurs, notamment une politique de prévention à la hauteur des enjeux et un moratoire sur la numérisation de l’école.

Le Collectif surexposition écrans a interpellé les différents décideurs : Santé Publique France (2017), le cabinet du président (2017), le ministère de la Santé (2018, 2021), le Secrétariat d’État chargé de l’Enfance (2023) et tout récemment le porte-parole du gouvernement (2023). Le résultat ? insuffisant et décevant : mention «éviter les écrans avant 3 ans» dans le carnet de santé, quelques recommandations de bonne utilisation des écrans via des plateformes… Mais seuls 10 % des parents respectent ces recommandations, car les messages de prévention ne sont ni clairs, ni suffisamment diffusés. Aux parents, il faut répéter que l’écran n’apprend rien au tout petit et que seul un adulte disponible permet de faire progresser un enfant. Les temps d’écrans des enfants et des parents ont décollé avec le Covid, aggravant la technoférence, retardant le langage, altérant le sommeil. Comment imaginer alors que nos enfants, fatigués et handicapés par leur niveau de langage, auraient un bon niveau de lecture et de bons résultats scolaires ?

Et les enfants grandissent ! Ces écrans, extrêmement addictifs, que les parents ont tant de difficultés à réguler, l’Éducation Nationale en fait l’ardente promotion, aggravant considérablement les problèmes de sommeil et d’attention des élèves. En effet, le grand mouvement de numérisation de l’Éducation nationale ne s’est guère arrêté avec la fin de la Covid. Espace numérique de travail (ENT), tableau numérique interactif qui remplace le tableau classique, devoirs sur internet, Mooc, groupe de classe sur WhatsApp... l’Éducation nationale a dit oui à toutes les propositions des EdTech, entreprises qui vendent des technologies numériques aux institutions scolaires sans aucune évaluation ni étude préalable. Réseaux d’aides spécialisés aux élèves en difficulté débordés, centres médico–psychologiques surchargés, orthophonistes indisponibles, services de pédopsychiatrie en détresse, multiplication des dossiers de handicaps: voilà le résultat bien concret d’enfants certes surexposés dans les familles mais dont l’état s’aggrave lorsqu’on prétend les éduquer en les mettant dès la maternelle devant un écran.

La Suède a pris conscience de l’énorme dégât que produit une éducation tout numérique et revient à des manuels scolaires. Mais nous, quand remettrons-nous l’élève au centre de nos préoccupations ? Quand la France va-t-elle légiférer ?

En maternelle, en élémentaire, au collège: la transmission des savoirs ne s’opère jamais aussi bien que lorsqu’elle est incarnée par un professeur. Plus tard, à partir du lycée, lorsque les capacités de libre arbitre se constituent, l’introduction du numérique peut sans doute revêtir un intérêt, à condition qu’il soit encadré et que ses bienfaits soient évalués.

Nos propositions de bon sens, devoirs à noter sur un agenda papier, pas de recours à internet pour «faire» ses devoirs avant le lycée, maintien des manuels scolaires papier, sont soutenues par les parents, les enfants et les adolescents lorsqu’on prend la peine de les interroger à ce sujet. Mais ces propositions sont contraires à la démarche du ministre de l’Éducation nationale. Sur le site du ministère, on nous annonce en effet le 16 novembre dernier le déplacement de Gabriel Attal et de Jean-Noël Barrot, ministre délégué chargé du numérique au salon Edtech. Celui-ci a été «organisé en partenariat avec le ministère de l’Éducation nationale et de la Jeunesse». Il est écrit qu’à «l’occasion de ce déplacement […] les ministres présenteront leur vision du numérique pour l’éducation [..] avant de rencontrer des porteurs de projets soutenus par France 2030 […] dans le cadre […] du partenariat d’innovation intelligence artificielle (P2iA). Ces entreprises […] mettent le numérique au service de l’apprentissage des savoirs fondamentaux.»

Voilà : les familles ont besoin de cohérence entre la prévention concernant le développement des enfants et la non-invasion des écrans dans les écoles et les collèges. Le «sursaut collectif» de Gabriel Attal ne deviendra réalité que si chacun de nos décideurs, y compris au sein de l’exécutif, aligne ses actions sur ses déclarations.

Signataires :

Les membres du Collectif surexposition écrans (avec le soutien des associations du Collectif attention):

Lise Barthélemy, pédopsychiatre

Marie Claude Bossière, pédopsychiatre

Enora de Gouvello, psychologue en protection de l’enfance

Sylvie Dieu Osika, pédiatre

Anne Lise Ducanda, médecin de PMI

Sabine Duflo, psychologue clinicienne en CMP

Éric Osika, pédiatre

Catherine Vidal, psychologue de l’Éducation nationale

** **

À lire aussi

** **

Un article dans Marianne

« M. Attal, vous devez agir contre la catastrophe sanitaire et éducative qui se joue ! »

Le ministre de l’Éducation nationale, Gabriel Attal, a récemment appelé à un « sursaut collectif » contre la surexposition aux écrans, qu’il qualifie de « catastrophe sanitaire et éducative ». Parents d’élèves et fondatrices de CoLINE (Collectif de Lutte contre l’Invasion Numérique de l’École), Julie Perel et Audrey Vinel lui adressent un courrier, que nous reproduisons, afin de lui demander d’agir concrètement.

Monsieur le ministre, vous appelez à un sursaut collectif contre la surexposition aux écrans, que vous qualifiez fort justement de catastrophe sanitaire et éducative. Vous avez raison : les dégâts produits sur notre jeunesse par l’omniprésence de ces écrans, et souvent dès le plus jeune âge, sont d’une ampleur inouïe !

À la place qui est la vôtre, votre devoir est de prendre votre part à cette lutte qui doit être celle de tous les adultes pour protéger nos enfants et leur permettre de profiter pleinement de leur scolarité. Et vous pouvez faire beaucoup. On pointe en effet largement la responsabilité des parents, mais quelle est celle de l’école ?

Agir contre la numérisation

Depuis dix ans maintenant, l’école se numérise. D’abord par la généralisation des ENT [espace numérique de travail], puis par la distribution progressive de terminaux individuels aux élèves, et ce, dès la maternelle. Ce faisant, l’institution prescrit de plus en plus largement l’usage des écrans, à l’encontre du choix éducatif des parents qui en limitent drastiquement l’usage voire l’interdisent sous leur toit. En cela, monsieur le ministre, vous avez le devoir d’agir et de clarifier ce paradoxe : que peuvent comprendre parents et enfants de cette injonction à utiliser à l’école des écrans auxquels vous reconnaissez par ailleurs une réelle nocivité ?

« Vous avez non seulement le devoir mais surtout le pouvoir d’agir. »

Un de vos prédécesseurs avait pour projet d’instaurer « l’école de la confiance », mais à quel point la confiance est-elle mise à mal lorsque le ministre de l’Éducation déclare le lundi dans une interview qu’« il faut éviter une catastrophe sanitaire et éducative liée à la place des écrans » et le jeudi face aux industriels de la Ed Tech que « pour élever le niveau général de nos élèves, le numérique et l’intelligence artificielle sont des outils clés » ?

Nous sommes deux mamans, et parce que nous considérons que la numérisation de l’école doit faire l’objet d’un véritable débat public – ce qui jusqu’à présent n’est nullement le cas – nous avons rédigé cet appel. Publié par Marianne en février dernier sous le titre « L’Éducation nationale renforce la dépendance au numérique », il a été signé par 3 287 personnes à travers la France, dont la moitié de parents, mais aussi bon nombre d’enseignants, des intellectuels et universitaires, des professionnels de santé, de l’enfance mais également du numérique, et de nombreux citoyens inquiets de cette politique. Aujourd’hui, nous vous l’adressons : il est nécessaire que vous considériez le propos qu’il porte car, monsieur le ministre, face à la catastrophe sanitaire et éducative qui se joue, vous avez non seulement le devoir mais surtout le pouvoir d’agir.

De nombreuses inquiétudes

Nous joignons à ce texte celui d’une autre tribune, également publiée dans la presse et signée avec nous par d’autres collectifs et associations. Celle-ci fait notamment référence à l’avis rendu en juin 2022 par le Conseil supérieur des programmes (CSP) de l’Éducation nationale sur la contribution du numérique à la transmission des savoirs : nous vous invitons vivement à prendre en compte les alertes et recommandations émises dans la troisième partie de ce rapport, car oui, le CSP tire lui aussi la sonnette d’alarme.

« Le rôle de l’école est de proposer autre chose aux enfants. »

Depuis la création il y a un an de notre collectif CoLINE (Collectif de Lutte contre l’Invasion Numérique de l’École), nous avons reçu énormément de témoignages de la part de parents et d’enseignants : l’inquiétude et la détresse sont immenses face à cette injonction à l’usage du numérique qui est faite par l’institution, et c’est surtout le constat de cette catastrophe sanitaire et éducative que malheureusement l’Éducation nationale accélère par ses prescriptions. Il est urgent que vous agissiez, monsieur le ministre, avec le même courage, nous l’espérons, que votre homologue suédoise l’a fait en osant faire marche arrière et revenir aux manuels scolaires à la place des terminaux numériques.

Sur le terrain, de plus en plus de gens, et notamment de parents, se mobilisent. Notre collectif est aujourd’hui présent partout en France pour faire entendre le refus de ce que beaucoup ressentent, et dans tous les milieux sociaux, comme une trahison de la part de l’institution. Les adolescents eux-mêmes s’inquiètent, notamment ceux qui se voient imposer le tout-numérique comme les lycéens du Grand Est. Comme vous le dites justement vous-même dans cette interview au Parisien, le rôle de l’école est de proposer autre chose aux enfants, pour leur donner toutes les chances de maîtriser les fondamentaux et notamment la lecture, le langage, et tout simplement la capacité à penser.

Une catastrophe

Aussi, monsieur le ministre, nous espérons que vous saurez entendre l’appel que nous vous adressons. À quoi sert de dénoncer le désastre si l’on ne s’efforce pas d’abord à la plus élémentaire cohérence ? Vous prenez la mesure de la catastrophe qui se joue, et vous avez les moyens d’agir avec force. Nous vous conjurons de le faire, car il en va, vous le savez comme nous, de l’avenir de nos enfants, de l’avenir de notre nation tout entière.

** **

A LIRE AUSSI

« Professeure dans le supérieur, j’ai décidé d’interdire totalement les smartphones dans mes cours »

École numérique : « On voudrait une société de narcissiques psychopathes qu’on ne s’y prendrait pas autrement »

« Derrière l’école numérique, il y a une idéologie, la nouvelle religion de l’époque »

École numérique : « On voudrait une société d’esclaves qu’on ne s’y prendrait pas autrement »