Est-ce bien raisonnable ?
Lettre ouverte aux élu.es
Par le collectif de réflexion citoyenne sur les caméras de surveillance à Marcillac
valloncontrecameras@protonmail.com
A l’attention des élu.es de Marcillac-Vallon, le 10 avril 2021
Mesdames, Messieurs les élu.es,
« Nous, habitant.e.s de Marcillac et du Vallon, associations et collectifs, questionnons le choix de la municipalité de Marcillac d’installer 5 caméras de vidéo-surveillance en le justifiant par des désagréments mineurs au regard du grave changement dans le vivre-ensemble qu’occasionnera cette installation. »
Ainsi commence le communiqué du 15 mars signé par 13 associations, collectifs, syndicats et partis politiques : « Des caméras à Marcillac-Vallon, est-ce bien raisonnable ? » Il est accompagné d’une pétition en ligne : « Non aux caméras à Marcillac-Vallon » et aussi de pétitions sur papier.
Cette initiative a reçu un large écho médiatique régional et national.
Le journal national 20 Minutes démarre ainsi son article : « BIG BROTHER RURAL (…) Souriez, vous serez bientôt filmé. C’est le message que pourrait placarder Jean-Philippe Périé, le maire (sans étiquette) de Marcillac-Vallon sur le panneau à l’entrée de son village (…) Passablement énervé (…) l’édile a décidé de dégainer les grands moyens »
Ce communiqué reçoit un soutien actif des habitants et habitantes de Marcillac, du Vallon et des alentours. Nous rappelons que ce projet contestable, bien que situé à Marcillac, concerne toutes et tous les citoyen.ne.s de la Communautés des Communes et aussi plus largement toutes les personnes qui sont attachées à la qualité du vivre-ensemble du Vallon. Nous pensons que l’image de ce dernier sortira ternie, et qu’il est donc (pour reprendre les termes de Monsieur le Maire dans Centre presse) peu « flatteur » pour « ce si charmant village » d’être associé à une telle régression citoyenne.
Nous tenons à préciser et présenter notre démarche. Monsieur le Maire déclare à CFM le 31 mars 2021 qu’il souhaite que « le débat se passe entre Marcillacois, entre personnes concernées par le problème et non pas avec des éléments extérieurs(…) le collectif devrait être mené, conduit et uniquement animé par des habitants de Marcillac concernés par le problème. »
Avec ses déclarations Monsieur Périé ne tente-t-il pas d’éluder le débat en délégitimant et rejetant les questionnements citoyens qui émergent ?
Monsieur le Maire : nous sommes habitant.e.s de la commune. Nous vivons aussi dans le Vallon dont Marcillac est le village central.
Certains sont parents d’élèves d’enfants à l’école et vivent dans Marcillac et aux alentours.
Nous sommes aussi nés ici, avons grandi et vécu ici : à ce jeu de la pureté des domiciliations et de l’historique de vie dans le Vallon, il est facile de s’avérer perdant.
Nous sommes donc « pleinement concernés au quotidien. »
Ce qui nous relie toutes et tous, c’est notre attachement à ce village et au Vallon.
Nous sommes pleinement citoyen.ne.s du Vallon et de Marcillac et vouloir rejeter des arguments et une démarche citoyenne car venant « d’estrangers à Marcillac » nous parait inopportun, et inaugurant un dangereux précédent susceptible d’amoindrir la qualité du vivre ensemble.
Précisons une partie de l’historique de ce questionnement public et citoyen quant à ce projet. Du 18 janvier au 4 février 2021, un collectif aveyronnais distinct du nôtre et qui soutient notre démarche, a posé par trois articles de presse (Centre Presse, La Dépêche, Le Petit Journal) le questionnement suivant: « N’y-a-t-il pas plus humain et plus urgent à faire pour recréer du lien après une année éprouvante pour toutes et tous que de surveiller des locaux à poubelles? » Dans ces articles, la question du référendum était ouvertement posée.
La mairie de Marcillac n’a jamais demandé d’entrevue avec ce premier collectif qui informe des milliers d’aveyronnais dont beaucoup à Marcillac. Nous savons aussi que plusieurs élu.es reçoivent les lettres mensuelles de ce collectif qui sont diffusées dans toute la France et qui questionnaient ce projet depuis octobre 2020. Ajoutons qu’en février 2021 l’association Les
Jeudis en Questions a aussi interrogé l’opportunité de ce projet et diffusé l’excellent documentaire de France 5 « Fliquez-vous les uns les autres. » qui aborde le déploiement de caméras en zone rurale.
Enfin, le Comité Causse Comtal, association agréée protection de l’environnement en Aveyron (qui siège au SYDOM, à la CDPENAF et dans d’autres commissions départementales) et excellent connaisseur des campagnes d’éducation au tri des déchets a aussi adressé une demande de rencontre à la mairie (par mail et par courrier) à propos de ce projet le 19 janvier 2021, et ce afin de réfléchir à des solutions alternatives. Cette demande reste sans réponse à ce jour, dénotant ainsi de la part de la mairie une absence de volonté de dialogue.
Le contexte fait aussi que les habitant.e.s ne peuvent plus se réunir et assister aux conseils municipaux, et quand bien même le pourraient-ils, le tissu citoyen se distend, les habitants ne peuvent même pas se réunir entre eux pour discuter de ces sujets (la vie associative est suspendue), ce qui rend difficile de s’organiser pour venir en Conseil, et tout simplement pour réfléchir ensemble à un projet en cours sur la commune. Ajoutons que le « quart d’heure citoyen », n’est pas propice à l’expression en de bonnes conditions des avis des habitants, même s’il peut en être un outil.
Précisons surtout que le quart d’heure citoyen a été supprimé pour cause de Covid !
C’est pourquoi nous récusons toute remarque nous imputant une volonté de ne pas dialoguer. Au contraire il nous a fallu du temps afin que nous nous emparions le plus justement possible de ce sujet dans un contexte citoyen très difficile.
Il nous est donc aujourd’hui permis de revenir vers vous avec une réflexion construite que nous vous soumettons. Une demande de rencontre vous a aussi été adressée.
Pour introduire notre propos, nous portons à votre connaissance l’importante jurisprudence de la Cour Administrative d’Appel de Nantes qui dans son arrêt du 9 novembre 2018, « considère que les caméras notamment installées aux abords des écoles (…) sans qu’il soit établi, par les statistiques relatives à la délinquance dans la commune, que ces lieux seraient particulièrement exposés à des risques d’agression, de vol ou de trafic de stupéfiants, n’apparaissent pas justifiées par les finalités auxquelles elles doivent correspondre (…) Si la commune de Ploërmel fait valoir qu’il est nécessaire d’augmenter le nombre de caméras et le nombre de sites concernés afin de mieux permettre l’identification d’auteurs de dégradations, vols ou autres infractions, ces finalités de police judiciaire n’entrent pas dans le champ d’application de l’article L.251-2 du code de la sécurité intérieure. Par suite, (…) le dispositif autorisé (…) apparaît disproportionné au regard des nécessités de l’ordre public. »
Aussi, une actualité législative dénote de l’évolution quant aux caméras de vidéosurveillance. Il nous est dit que seuls des agents assermentés pourront accéder aux images enregistrées : « c’est très très encadré » nous dit Monsieur le Maire sur CFM. La problématique est que la liste des personnes qui y seraient habilitées ne fait que s’allonger. Pour exemple, La Quadrature du Net, association nationale de défense des libertés, explique qu’au mois de mars 2021 la commission des lois du Sénat a adopté sa position sur la proposition de loi Sécurité Globale et plus particulièrement sur la vidéosurveillance. Ainsi une dangereuse évolution a été proposée : « Le code de la sécurité intérieure limite actuellement le visionnage des images de vidéosurveillance aux seuls agents de la gendarmerie et de la police nationale. Ce matin, le Sénat a validé les articles 20, 20 bis A et 20 ter de la loi Sécurité Globale qui étendraient cet accès aux agents (…) des communes, des communautés de communes et groupements similaires ainsi que des services de sécurité de la SNCF et de la RATP (…) »
Enfin, Monsieur le Maire déclare dans Centre presse du 25 mars 2021 : « Toutes les suggestions permettant de résoudre ces problèmes de façon durable seront les bienvenues. »
Dans ce courrier plusieurs idées vont donc être proposées. Néanmoins nous pensons :
que le contexte actuel requiert une réelle mise en oeuvre de démocratie locale
qu’il convient pour les élu.es de prendre en compte que la Ligue des Droits de l’Homme juge ce projet « inadapté » et « préoccupant » (communiqué du 11 mars)
que les caméras ne sont pas la meilleure solution pour régler les incivilités dans le tri des poubelles et que idées ont été publiquement proposées par des habitant.e.s
qu’il est disproportionné de filmer les entrées de l’école maternelle
que ce projet ne fera qu’aggraver les tensions
que ce type de problème ne baisse pas avec les caméras mais se déplace ailleurs
enfin nous évoquerons des perspectives possibles pour Marcillac
Pour une réelle consultation des habitant.e.s
« L’idée vient de l’adjudant-chef de la gendarmerie », telle fut la déclaration de Monsieur le
Maire dans le journal national 20 Minutes du 6 avril 2021 (op.cit).
Il s’agit donc d’une véritable inspiration démocratique et citoyenne à la base de ce projet…
Nous questionnons la temporalité de ce projet et l’absence de mise en oeuvre d’une réelle démocratie locale, et ce contrairement aux engagements de campagne qui pouvaient le laisser augurer.
Alors que toute vie démocratique est suspendue depuis une année, les rencontres impossibles, ne serait-ce qu’au café, la mairie a seulement proposé une réunion en juillet (à la sortie du premier confinement) et en septembre (non spécifique à ce sujet) ; puis la délibération sur le principe du déploiement des caméras est advenue lors du second confinement. Nous saluons le vote contre ou l’abstention de 6 élu.e.s.
Ajoutons que malgré les explications de la mairie à La Dépêche le 30 janvier, le « sondage » qui a été effectué par les élu.e.s, laissant penser qu’une réelle consultation a eu lieu, est un simulacre de démocratie.
Précisons-en les modalités : en allant chercher les sacs poubelles, les habitant.e.s étaient tout bonnement soumis.e.s. à un questionnement par les élu.e.s assis.e.s devant eux (avec la liste d’émargement- certes non utilisée directement, mais permettant de relier un avis à un nom) : les citoyen.ne.s devaient répondre à « êtes-vous pour ou contre les caméras ? » sans aucun débat ni aucune réelle présentation de ce projet au préalable. Qui plus est, les caméras étaient évoquées à l’entrée de la salle comme une solution possible aux incivilités de tri largement photographiées sur des panneaux d’exposition, influençant ainsi la réponse donnée.
Mesdames Messieurs les élu.e.s, la démocratie ne requiert-elle pas de l’exigence et des outils propres à favoriser la délibération intime et l’expression propre de chacun.e. ?
Interrogé sur CFM quant à son refus de consulter publiquement la population, Monsieur le Maire a répondu: « Je sais pas d’où le collectif tient cette position. » Nous la tenons tout simplement de la réunion publique du 25 septembre 2020 lors de laquelle Monsieur le Maire précise sur cette question des incivilités quant aux encombrants : « Je comprends la frustration de certains dans un sens ou dans un autre, mais encore une fois l’objectif c’était pas de faire un référendum sur Marcillac (…), l’idée c’était d’avoir un assentiment ou une opinion de l’ensemble des gens. »
Rechercher un « assentiment », Monsieur le Maire, n’est-ce pas peu démocratique ?
Dans Centre Presse du 25 mars 2021, Monsieur le Maire explique : « Nous sommes partisans d’un débat démocratique (…) mais sûrement pas de luttes partisanes. » Être partisan d’un débat démocratique et être contre une lutte partisane… La démocratie, Monsieur le Maire, c’est la conflictualité des idées qui s’échangent et non la recherche d’un assentiment.
Sur CFM le maire assume son refus d’une consultation publique : « Non. Consultation citoyenne sûrement pas. La consultation, elle est en cours au niveau des personnes concernées, c’est à dire des parents d’élèves de l’école et nous verrons au mois de juin le résultat de la campagne sur les incivilités. Si elle a produit ses effets et que les poubelles sont clean, on va pas dépenser des sous pour mettre des caméras. Si par contre les poubelles sont toujours aussi dégueulasses, on mettra des caméras. »
Monsieur le Maire, qui va faire les évaluations afin de savoir « si c’est toujours aussi dégueulasse », et comment ? Sur combien de jours, avec quels critères ?
Nous rappelons que les caméras aux poubelles concernent tous les habitant.e.s de Marcillac… et qu’il n’y a donc pas eu « de consultation au niveau des personnes concernées » contrairement aux affirmations du Maire : d’où notre demande.
Quant aux caméras à l’école, elles concernent aussi les habitants de la commune et des alentours qui ont des enfants dans cet établissement scolaire. Le nombre de personnes concernées est donc donc bien plus large et mérite là aussi qu’un référendum se tienne.
Pourtant Monsieur le Maire déclare récemment être « à l’écoute de tous les habitants » lors du lancement de sa campagne aux municipales.
Comment être à l’écoute de tous les habitants en refusant de demander leurs avis ?
Nous assumons de dire à Monsieur le Maire que sa conception de la démocratie est pleine d’effets d’annonce, vides de contenu effectif.
« Le maire qui ne se laisse pas intimider par « ces 2.500 signatures, dont seulement 25 du village »
(journal 20 Minutes, op.cit)
Monsieur le Maire, nous qui avons lancé cette pétition, n’avons pas accès à la localisation des signataires, comment le pourriez-vous ? D’où sort ce chiffre de 25 ? Nous rappelons qu’en trois jours deux pétitions papier dans deux commerces connaissent un franc succès.
Et comme nous le soulevions en introduction, c’est l’image de Marcillac-Vallon qui se ternie par votre projet.
Une présentation non objective des incivilités et des solutions
Qui plus est, lors de la séance en Conseil Municipal du 19 novembre, Monsieur le Maire « rappelle que selon la gendarmerie, de tels dispositifs » sont efficaces. M. Périé présente là aussi une photo de dépôts sauvages. Mais des photos prouvent-elles la gravité et la récurrence d’un problème ? Ne créent-elles pas une réaction émotionnelle au lieu d’aider à chercher des solutions pérennes ?
De même, les avis des gendarmes n’ont pas la valeur des études officielles ou indépendantes, sur lesquelles nous reviendrons. Depuis près de 20 années, ces personnels sont malheureusement poussés « à la politique du chiffre » et ont un intérêt à la pose de tels dispositifs. Ceux-ci permettent de multiplier les verbalisations qui entrent en compte dans l’image et la rémunération de leur gendarmerie.
Précisons qu’afin de présenter ce sujet, Monsieur le Maire expliquait, lors de la réunion publique du 25 septembre 2020, que ces caméras seraient « à notre sens la seule et la meilleure solution qui existe (…) Ceci dit cela ne me fait pas plaisir non plus mais je ne connais pas d’autres solutions ». Nous verrons que ce discours est contradictoire avec d’autres propos de Monsieur le
Maire dans lesquels il reconnaît pourtant l’existence et la viabilité d’autres solutions.
La section de Rodez de La Ligue des Droits de L’Homme dénonce un projet inadapté et préoccupant
Communiqué du 11 mars 2021 reçu par la mairie de Marcillac, nous surlignons.
« Le choix d’installer des caméras de vidéosurveillance à Marcillac nous semble inadapté pour lutter contre quelques incivilités. En effet, ces systèmes onéreux se font au détriment de la prévention ; les personnes chargées de la prévention sont remplacées par un « mirage » technologique normatif et destructeur de lien social. »
La vidéosurveillance entraîne une surveillance supposée répressive par la sanction des comportements délinquants. Mais elle est surtout une surveillance préventive et le fait d’être vu sans voir peut induire un comportement de « soumission », conformation à une « normalité » supposée, qui incite le citoyen à avoir un comportement « normal », sans que l’on sache ce que cela sous-entend. La vidéosurveillance peut aussi conduire à un simple déplacement des comportements délinquants.
D’autre part, pour le cas de Marcillac (…) il n’y a pas eu de débat. Il nous apparaît donc indispensable de consulter la population, après la tenue d’un débat contradictoire ouvert au public. C’est, nous le pensons, une base de la démocratie locale. Si ce débat ne pouvait avoir lieu, du fait des conditions sanitaires, nous demandons la suspension du projet.
France 3 précise : « La ligue des droits de l’homme regrette cette décision d’un point de vue philosophique, son président, Jacky Burzala, craint également que les installations de caméras ne se multiplient. Dès que l’on commence à mettre des caméras pour soi-disant régler un problème, on se dit « il y a un autre problème à côté, on va continuer à mettre des caméras » et on aboutit de fil en aiguille à une surveillance de l’espace public. Ceci est contraire à certains textes législatifs qui sont favorables à la liberté d’aller et venir sans se sentir surveillé, argumente le président. »
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