Celia Izoard parle des smartphones

C’est presqu’à la fin de son dernier livre : « la ruée minière au XXIème siècle »

L’extrait ci-dessous commence à la page 292 et se termine à la page 296

Le livre comprend 302 pages très intéressantes.

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Débarrassons-nous de nos smartphones, contestons l’emprise numérique

Aurore Stéphant emploie l’expression « surminéralisation du quotidien » pour désigner la voracité en métaux qui caractérise le mode de vie capitaliste. Le smartphone en est emblématique. On pourrait considérer que la radicale nouveauté de l’objet tient aux gains de puissance prodigieux qu’il met à la disposition d’un individu : communiquer avec la terre entière, se localiser, photographier, filmer, avoir accès au savoir universel (tous ces gains de puissance étant par ailleurs tristement contrebalancés par l’intrusivité de l’objet, ses propriétés addictives, le déluge d’offres et e pratiques capitalistes qu’il a fait entrer dans la vie quotidienne et dans l’intimité, etc. …). Mais on peut aussi envisager sous un autre angle la radicale nouveauté du smartphone : jamais l’humanité n’a disposé en masse d’un objet contenant plus de cinquante métaux différents sous des formes aussi complexes. Par exemple, un appareil peut contenir au total une trentaine de milligrammes d’or, mais, dans cet objet minuscule, cet or est en réalité disséminé dans quelque quatre-vingts composants différents – il en est de même pour l’argent et le nickel. C’est la raison pour laquelle personne n’a très envie de s’amuser à recycler des téléphones.

Pourrait-on fabriquer un objet équivalent dans des conditions décentes ? C’est l’objet de l’entreprise Fairphone, fondée aux Pays-Bas il y a plus de dix ans. Initialement, le but des ONG qui ont créé cette société n’était pas de vendre des téléphones. Elles cherchaient un moyen de faire comprendre la réalité sordide des chaines d’approvisionnement de l’électronique, des minerais de conflits aux sweatshops chinois. ‘es précisément parce que le smartphone est l’objet quotidien qui incarne le plus notre surconsommation de métaux que l’entreprise Fairphone l’a choisi comme produit. Comme l’explique sa plateforme, l’idée est « d’utiliser le téléphone comme outil porteur d’une histoire pour révéler comme les choses sont fabriquées ». De fait, le travail de Fairphone s’apparente à une ambitieuse recherche-action menée depuis dix ans sur les chaines d’approvisionnement des métaux et de l’électronique. Ses résultats sont éclairants.

L’entreprise cartographie et met à jour régulièrement les sites de production répartis sur l’ensemble de la planète dont dépend la production de ses téléphones : mines, fonderies, usines de composants, sites d’assemblage, etc. Elle nous apprend que la fabrication d’un smartphone repose sur plus de mille sites répartis dans le monde entier. Mille usines pour un seul objet ! Puisqu’il est évidemment impossible d’aller enquêter sur chacun de ces mille sites pour en évaluer les conditions de production, l’entreprise s’est particulièrement intéressée à 1 » métaux sur les 56 que contient un appareil : tungstène, cobalt, étain, or, argent, etc. Pour agir sur les conditions de production de ces métaux, l’entreprises s’associe à des ONG qui soutiennent les familles de mineurs artisanaux (en RDC pour le cobalt) ou a des coopératives minières (au Rwanda pour le tungstène et en Guyane pour l’or). Du coté des usines d’électronique, Fairphone travaille avec des entreprises chinoises de taille relativement modeste pour les inciter à améliorer progressivement leurs pratiques et cotise à un « fonds de bien-être » pour les salariés de l’usine d’assemblage des téléphones. Pour que les appareils soient recyclés, Fairphone fait revenir du Ghana les déchets électroniques qui s’entassent dans les décharges et rachète les anciens téléphones de ses nouveau clients. Mais même dans une situation idéale où tous les téléphones sont effectivement collectés, où tous les composants trouvent leur circuit de recyclage et où l’entreprise a tout mis en œuvre pour créer des appareils adaptés au démontage, seuls 45% des matériaux du Fairphone 3 peuvent être recyclés. C’est le taux de perte qu’implique la dissémination des métaux dans les composants et la complexité des alliages, même quand l’entreprise s’emploie à un recyclage maximal.
Pour compenser ces limitations, Fairphone tente d’augmenter la durée de vis des appareils en limitant l’obsolescence de la partie software. Elle teste aussi un système de location de téléphone, payé chaque mois : il n’appartient pas à l’utilisateur, mais il est remplacé en cas de panne ou de destruction, ce qui permet de réutiliser les composants. Force est de constater que Fairphone explore depuis dix ans toutes les voies qui permettraient de rendre le smartphone acceptable sur le plan social et environnemental. Le fait qu’elle n’y parvienne pas, ou seulement très à la marge, oblige à poser un constat accablant : l’objet n’est pas viable.

La production de tomates peut exploiter des personnes immigrées et précaires, empoisonner les sols avec des produits chimique, consommer du pétrole et disséminer des déchets plastiques. Mais on pue aussi produire des tomates sans nuire à quiconque, dans un potager, une petite entreprise de maraîchage bio ou une coopérative de permaculture. En revanche, même avec la meilleure volonté du monde, il n’est pas possible de produire un objet contenant plus de cinquante métaux différents dans des conditions décentes. Le smartphone n’est pas viable parce qu’il fait intervenir l’échange écologique inégal à chaque étape de sa production, parce que c’est un pur produit de la mondialisation et de ses injustices.

Puisque cet objet n’existait même pas il y a vingt ans, il devrait être possible de vivre sans. Mais c’est un choix qui ne peut être porté que collectivement. Par exemple en s’associant entre parents pour repousser au maximum l’âge auquel les jeunes ont accès. Ou en luttant contre les systèmes qui le rendent obligatoire dans la vie de tous les jours. Le collectif Halte au contrôle numérique construit sur le plan juridique un statut opposable d’objecteur ou d’objectrice du numérique pour obliger les administrations et les entreprises à garantir qu’on puisse se déplacer, se faire soigner ou jouir de ses droits sans passer par des applis et de QR codes. Le groupe Écran total réunit des personnes qui luttent au sein de leur profession contre la numérisation forcée de leur activité, qu’il s’agisse d’agriculture ou de santé, et mène des actions pour exiger le retour des guichets dans les services publics. Le problème ne se limite pas au smartphone : dès lors qu’on prend au sérieux le question des métaux (tout comme celle de la liberté face à la surveillance et à la manipulation de masse), la croissance effrénée du monde connecté devient un problème central.

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Commentaires reçus

Célia Izoard en parle dans cette vidéo sur Blast où elle présente son livre : 
« ON EST EN TRAIN D‘ENFOUIR LA CRISE CLIMATIQUE ET ÉCOLOGIQUE AU FOND DES MINES »
C’est l’un des plus grands paradoxes de notre époque, pour limiter le réchauffement climatique et décarboner nos économies, une nouvelle ruée minière d’une ampleur inédite a commencé. Pourtant l’industrie minière est l’une des industries les plus toxiques et les plus énergivores que l’on connaisse. Et son activité explose pour fournir entre autres les matières premières des technologies bas carbone : les batteries des voitures électriques, les métaux pour les smartphones, les ordinateurs… 

https://www.youtube.com/results?search_query=c%C3%A9lia+Izoard

ACCU

En plus d’exiger une quantité colossale d’eau. Cela fait beaucoup.

(Et le Linky ne serait-il, ou ne sous-tendrait-il pas, déjà un peu tout ça ?)

Autre livre sorti récemment à ne pas oublier

Le petit livre qui fait une bonne synthèse pédagogique : Numérique d’Yves Marry de Lève les yeux, Rue de l’échiquier.

Anti Linky 5G Nantes