Balance ton smartphone …

et analyse de l’entreprise La Poste et de la VSB (vidéosurveillance Biométrique)

Pour le climat, pour la liberté, pour la dignité de tous les êtres vivants…

Les groupes qui critiquent « l’inaction climatique » des décideurs remettent rarement en cause un des partis pris fondamentaux de ces derniers: le développement du numérique serait un atout pour faire face aux dérèglements du climat et maîtriser l’impact des activités humaines sur nos milieux de vie. La numérisation semble aller dans le sens de la « décarbonation » de nos sociétés développées, donc elle serait un processus globalement positif.

Et d’ailleurs, les activistes qui luttent pour la « défense du climat » utilisent tout naturellement les réseaux sociaux, les messageries et les smartphones, pour faire circuler leurs idées, donner des rendez-vous, etc.

Il y a méprise. Il est temps de prendre en compte tous les éléments qui nous indiquent que la numérisation galopante est un facteur d’accélération du désastre écologique provoqué par notre mode de vie. À la fin de la décennie 2010, le système numérique dans son ensemble consommait déjà entre 10 et 15% de l’électricité mondiale, et sa consommation d’électricité doublait tous les quatre ans. La consommation d’énergie globale du système numérique augmentait chaque année de 9%. La part prise par le numérique dans les émissions de gaz à effet de serre avait rejoint celle du transport aérien (4% du total. Joli, pour un secteur réputé « immatériel »).

Toutes ces tendances n’ont pu que s’emballer, avec l’injonction à travailler, consommer et se fréquenter à distance, pendant la période du Covid et des confinements.

Avant 2020, on estime qu’il y avait, à chaque minute, de par le monde : 1,3 million de connexions à Facebook ; 4,1 millions de recherches sur Google; 4,7 millions de vidéos consultées sur Youtube. Et les vidéos en ligne représentaient déjà 80% du trafic de données numériques, en croissance continue.

Le plus gros de l’impact écologique du numérique se joue pourtant lors de la fabrication des appareils, des écrans tactiles, des serveurs des datacenters, des antennes-relais, des câbles, des puces, etc.

Cette production de milliards de composants est à l’origine d’un extraordinaire boom minier. Au nom de la soi-disant transition énergétique, l’humanité connectée compte extraire, en quelques décennies, autant de métaux de la croûte terrestre que ce qui s’est fait entre l’Antiquité et l’an 2000. Il faut multiplier par deux, par cinq, parfois par trente, les quantités de cuivre, d’argent, de nickel, de lithium, de terres rares… Il faut ouvrir de nouvelles mines partout dans le monde, y compris en Europe, et creuser toujours plus profond pour fabriquer en masse des voitures électriques bardées d’électronique, des objets connectés et des semi-conducteurs. Or, l’industrie minière consomme des quantités effroyables d’eau, souille les cours d’eau et les nappes phréatiques avec des produits chimiques hyper-toxiques, aggrave donc les sécheresses sur de nombreux territoires… Et elle est une des industries qui émet le plus de gaz à effet de serre.

Pour ne rien arranger, les conditions de travail dans les usines qui produisent notre quincaillerie électronique, en Asie principalement, sont dignes des bagnes ouvriers du XIXe siècle en Europe. Et nos appareils à obsolescence programmée terminent dans des décharges à ciel ouvert, au Ghana notamment, où ils ont encore le pouvoir d’empoisonner des animaux, des paysans, des enfants.

Le numérique n’est une solution à rien, il est un accélérateur et multiplicateur de tous les problèmes sociaux et écologiques. Le smartphone est une de nos attaches les plus importantes à un système de prédation, de guerres, de mort. Débranchons-nous, au plus vite.

Écran total Occitanie, 11 mars 2023

A lire sur le sujet :

Rapport du Shift Project, Climat : l’insoutenable usage de la vidéo en ligne (2019) ;

Fabien Lebrun, On achève bien les enfants (Le Bord de l’eau, 2020) ;

Jenny Chan, Xu Lizhi et Yang, La Machine est ton seigneur et ton maître (Agone, 2020) ;

Groupe MARCUSE, La Liberté dans le coma (La Lenteur, 2019) ;

Hervé Krief, Internet ou le retour à la bougie (Quartz, 2018).

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La Poste, avant-poste de la start-up nation

Amis postiers, créer des identités numériques ne fait pas partie de vos missions.

Écran total est un collectif national qui regroupe des personnes refusant l’informatisation de leur travail et de leur quotidien. Nous pensons que l’envahissement de tous les domaines de la vie par les technologies numériques pose de graves problèmes : sanitaires, relationnels, psychologiques, politiques, écologiques… Nous voulons libérer les paroles critiques du numérique qui n’osent pas se faire entendre, aux différents étages de la société ; nous documentons les nombreuses situations qui montrent que la numérisation est synonyme de régression plutôt que de progrès ; et nous nous opposons aux politiques publiques qui accélèrent cette numérisation, au prétexte d’épouser les habitudes déjà prises par les gens.

Par exemple, nous sommes choqués par le choix de l’entreprise La Poste d’accompagner la numérisation du mode de vie, en décourageant la circulation du courrier postal. L’objectif des dirigeants semble même de le faire disparaître, selon le principe autoréalisateur : de moins en moins de gens envoient des lettres, donc on augmente massivement le prix des timbres et on dégrade le service postal, et du coup… de moins en moins de gens envoient des lettres (on vous l’avait bien dit!).

Non seulement La Poste sabote sa raison d’être, mais elle se veut pionnière de l’identité numérique. L’identité numérique, c’est la création, pour celles et ceux qui le veulent, d’un identifiant et d’un mot de passe uniques, pour une grande partie des services de base (publics comme privés) que l’on trouve aujourd’hui sur Internet.

C’est une manière de faciliter – et donc généraliser – les démarches administratives en ligne, la « délocalisation » des services publics dans « le monde virtuel », le paiement par Internet… Le but est qu’absolument tout puisse être fait devant un écran. Avec pour résultats, s’étalant sous nos yeux :

l’affaiblissement des collectifs de travail, l’atomisation des salariés et des citoyens, l’emprise des géants du numérique et du marketing sur nos esprits, la privatisation des services publics et la désertification des espaces communs – au mieux, il y a du monde autour de nous, dans le train ou le centre commercial, mais chacun est sur son smartphone, « seul ensemble ».

Qu’en pensent les salariés de La Poste ? Pourquoi donc leur entreprise est-elle à la pointe de cette régression sociale et culturelle ? Y a-t-il des moyens de s’y opposer ?

Comment faire, salariés et usagers, pour rétablir un service public de courrier postal digne de ce nom ?

SOLIDARITÉ avec les postiers victimes de la précarité, de l’automatisation et de la destruction des retraites.

HALTE à la numérisation-privatisation des services publics.

NON à l’identité numérique et à l’obligation smartphonale.

Le groupe Écran total Occitanie, à Montauban le 10 mars 2023.

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Seule en Europe, la France macronienne adopte la vidéosurveillance biométrique (VSB)

Dans le cadre de la loi « olympique » (JO 2024), le recours aux algorithmes pour le traitement des images enregistrées par des caméras ou des drones est autorisé dès la promulgation de la loi jusqu’à la fin du mois de décembre 2024 (maigre limitation : elle était prévue au départ jusqu’à fin juin 2025).

Elle ne concernera pas que les Jeux et donc les villes qui accueillent des épreuves, mais aussi les « manifestations sportives, récréatives ou culturelles » qui, « par leur ampleur ou leurs circonstances, sont particulièrement exposées à des risques d’actes de terrorisme ou d’atteintes graves à la sécurité des personnes« . Définition extensive qui permettra de la déployer partout en France pendant cette très longue période.

Cette vidéosurveillance algorithmique (VSA) identifie, analyse, classe en permanence les corps, les attributs physiques, les gestes, les silhouettes, les démarches, qui sont incontestablement des données biométriques, ce que confirme la Défenseure des droits. Mais ce qu’auront nié tout au long de l’examen du texte le ministre Darmanin et les rapporteurs Renaissance Guillaume Vuilletet et Sacha Houlié, utilisant les rhétoriques de minimisation tirées des arguments de vente des fournisseurs de ces matériels. Aucune évaluation ni démonstration de l’utilité ou de la proportionnalité de ces technologies très opaques n’a été produite lors des débats.

Validé par l’union des droites avec l’extrême droite en France, application prochaine…

Tout au long des débats, le Rassemblement National aura approuvé l’ensemble des mesures. Mais cette alliance de fait est allée plus loin : un amendement cosigné par les députés RN Aurélien Lopez-Liguori, MoDem Philippe Latombe et LIOT Christophe Naegelen, et sous-amendé par les députés Eric Bothorel (Renaissance), Vincent Thiébaut (Horizons) et Laurent Croizier (MoDem).

Cet amendement entend prioriser le recours à des entreprises européennes dans l’exploitation d’images de vidéosurveillance via des algorithmes.

LR n’a donc pas été associé à cet amendement, mais ses voix n’ont pas manqué lors du vote solennel de la totalité de cette loi mardi 28 mars [1]. En effet, LR, experte en expérimentations diverses (Nice et son carnaval, la région Auvergne-Rhône-Alpes et ses gares et trains…) a su durcir le texte tout au long de son parcours (d’abord au sénat puis à l’AN, en urgence bien sûr).

L’urgence étant donc de mise, le texte devrait être promulgué rapidement, et être utilisé partout où se trouvent des CSU (centres de supervision urbaine … implantés aussi dans certaines zones rurales grâce à la mutualisation des moyens entre communes).

Les industriels du secteur, français (Thales, XXII [qui se présente comme « leader européen de la VSA »], Two-I, Neuroo, Idemia [fournisseur de la technologie de reconnaissance faciale à la Chine]) ou étrangers (notamment israëliens), très présents en coulisse pour promouvoir leur technologie, s’en frottent déjà les mains !

Inquiétudes dans les autres pays européens

Fait totalement inhabituel, 38 organisations de toute l’Europe pour la défense des droits ont dénoncé début mars ce projet de loi français, rejoint par 40 eurodéputé·es qui soulignent : « Si la loi est adoptée dans sa forme actuelle, la France créera un précédent de surveillance jamais vu en Europe. »

Ils estiment que le fait qu’ »un pays démocratique comme la France encourage ce type de surveillance automatisée revient à donner carte blanche aux régimes répressifs du monde entier pour qu’ils fassent de même avec leurs propres citoyens« .

Ce texte pourrait mettre la France hors la loi face à l’IA Act

Pour ces eurodéputé·es, en adoptant ce texte sans attendre les résultats des débats au niveau européen (l’IA Act y sera discuté dès ce mois d’avril 2023), « la France sape[rait] le rôle de démocratie et de contrôle du Parlement européen. L’article 7 de la loi sur les Jeux olympiques et paralympiques risque d’entrer en conflit avec le réglement européen sur l’IA.« 

Ils rappellent que « Dans le rapport 2021 du Parlement européen sur l’intelligence artificielle dans le droit pénal (…), précurseur du réglement sur l’intelligence artificielle, le Parlement a appelé à “l’interdiction permanente de l’utilisation de l’analyse automatisée (…), des caractéristiques humaines (…), et d’autres signaux biométriques et comportementaux”. Une action d’ensemble est en cours pour revendiquer l’interdiction totale de la surveillance biométrique dans le cadre de l’IA Act.

Effacement de la CNIL, censée garantir nos libertés

La Commission Nationale Informatique et Libertés (CNIL) s’est révélée en dessous de tout (comme récemment sur le projet de vérification par reconnaissance faciale de l’âge des adolescent·es pour s’inscrire sur des réseaux sociaux). Cette institution, qui dispose de pouvoirs légaux pour limiter les velléités étatiques de surveillance, est devenue un service après-vente des mesures gouvernementales et veille essentiellement à préserver les intérêts économiques de l’industrie en dépit de toute considération pour les droits et libertés collectives.

Mais affirmation de contre-pouvoirs pour préserver nos droits et libertés

Il y a d’abord La Quadrature du Net qui aura mené une campagne de sensibilisation en direction des député·es français·es, avec succès principalement auprès de ceux de la Nupes. D’une part ceux-ci ont pris conscience des dangers du tout numérique et du capitalisme de surveillance, d’autre part cela leur aura permis de tisser des liens avec d’autres élu·es européen·es plus sensibilisé·es par ces questions. Ce qui sera très important pour peser sur la rédaction de l’IA Act à venir.

Cela aura aussi permis de coopérer avec d’autres organisations intervenant en France (Ligue des Droits de l’Homme, Amnesty International-section française) ou en Europe (les 38 qui ont dénoncé le texte français), avec des institutions (Défenseure des droits, Commission nationale consultative des droits de l’homme, Conseil national des barreaux). Ces soutiens et avis n’auront pas suffi face à un gouvernement français peu soucieux de la défense des droits individuels et collectifs (on le voit en ce moment sur d’autres textes…), mais pourraient permettre de l’emporter à d’autres niveaux (notamment sur l’IA Act européen) ou sur d’autres actions (judiciaires…).

[1] Résultats du vote par l’Assemblée Nationale le 28/03/2023 (détail par élu·e) : RN Pour 77 Abstention 2 (sur un total de 88 voix possibles), LR Pour 59 (61), Renaissance Pour 167 (170), Horizon Pour 28 (29), MODEM Pour 49 (51), LIOT Pour 14 Abstention 4 (20), PS Abstention 31 (31), PC Abstention 17 Pour 3 (22), EELV Contre 20 (22), LFI Contre 72 (74), Non inscrits Pour 3 Contre 1 (5)

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