Intervention du collectif ACCAD sur RadioPlus Douvrin
La semaine dernière, nous avons constaté qu’il serait difficile d’échapper à la transformation digitale de notre société surtout qu’il y a volonté gouvernementale que 100% des formalités qui ne requièrent pas de présence au guichet soient réalisables en ligne, du côté administratif … voulant ainsi …. Je cite « simplifier encore davantage les formalités des particuliers et des entreprises et rendre les services publics plus efficaces et plus réactifs » fin de citation ….
Alors, bien évidemment, commander par internet, envoyer des messages via le mail ou via facebook, suivre des formations en ligne, suivre des vidéos, des clips, des musiques, des applications, des jeux ou même jouer en ligne … n’est ni nécessaire pour personne ni vital, car il y a encore les magasins, les universités, les cinémas, qui peuvent donner tout cela dans un monde vrai …. Par contre, les démarches administratives restent souvent nécessaires voire vitales justement et je pense que vous serez d’accord avec moi pour dire que ce passage au 100% numérique est presque intolérable puisque nous avons constaté, ensemble, lors de la dernière émission, qu’il y aurait cassure générationnelle, sociale et géographique …. On y reviendra la semaine prochaine pour examiner ce que prévoit l’Etat pour soi-disant, enrayer ces cassures ….
Mais il faut bien admettre, chiffres à l’appui, qu’aujourd’hui, il existe un véritable mal-être numérique …. ; Il y a une enquête qui montre que près d’un quart des personnes interrogées s’estiment être désemparées … C’est ce qu’on appelle « l’illectronisme »
On appelle cela « illectronisme » ou fracture numérique : c’est un phénomène qui touche de nombreux Français : 23% ne seraient « pas à l’aise avec le numérique » d’après un sondage publié par l’Institut CSA en juin 2018. Personnes âgées, précarisées ou n’ayant pas d’intérêt pour l’informatique… Les conséquences peuvent être sérieuses et causer une perte d’autonomie, un isolement ou exposer les personnes à des risques en terme de cybersécurité. Tout est dématérialisé et les gens n’ont plus beaucoup de choix s’ils se laissent impressionnés par ce qu’on veut nous imposer.
Finalement, il n’y a pas grande différence entre l’illettrisme qui existe encore en France et l’illectronisme … et les conséquences sont les mêmes ….
On pourrait plutôt dire qu’on est dans une autre échelle de valeur. Pour se sentir bien dans la société d’il y a peu de temps, il fallait savoir lire, écrire et compter. C’est ce que devait en principe nous fournir l’école en fin de scolarité obligatoire. C’était le strict minimum car ce n’est évidemment pas suffisant pour nager comme un poisson dans cette société compliquée. Il faut d’ailleurs remarquer que cet illettrisme, loin de diminuer, revient à la surface en force. Et c’est cela qui est déjà très inquiétant.
Le problème s’est accentué à notre époque avec cette nouvelle forme d’exclusion qui s’appelle l’illectronisme. C’est d’autant plus grave que l’école dite républicaine ne fournit déjà pas la base minimum pour profiter de ce que fournit l’enseignement. Donc l’illectronisme handicape déjà et en premier lieu celles et ceux qui sont illettré.es. S’ajoutent à cette catégorie de défavorisés celles et ceux qui n’ont pas suivi la marche forcée vers la numérisation. Cela touche moins les jeunes car ils donnent l’impression d’être nés avec un smartphone dans le cerveau –ce qui est loin d’être un passeport pour une vie que l’on voudrait épanouie. En tout cas, ce sont les personnes âgées qui ne suivent plus … du moins près de la moitié d’entre eux.
On pense aux 6 millions de personnes qui ne vont jamais sur internet …. Et qui vivaient très bien jusqu’ici … que vont-elles devenir ? Et pourquoi leur créer ce besoin ? Est-ce cela qu’on appelle le progrès ? L’exclusion de tout un pan de la population ?
Cette question a déjà été en partie abordée la semaine dernière à propos du tout numérique.
Nous voyons disparaitre les marges de liberté qui nous permettent d’échapper aux impératifs de la rentabilité.
Il y a une fracture de plus en plus importante entre les personnes qui se débrouillent sur le net et les autres. C’est d’autant plus grave que cela ne repose sur rien de concret. Je pense avoir déjà dit comment on interprète la notion de progrès. C’est quoi le progrès ? C’est réparer soi-même une machine à laver comme cela pouvait se faire il y a vingt ans ou c’est faire appel à un spécialiste quand cette machine tombe en panne maintenant ? Pour moi, c’est une régression intellectuelle. C’est laisser la place aux experts. On est en train de vivre un grand changement car l’homme se laisse dépouiller par la machine. C’est du Taylorisme assisté par ordinateur. Les machines deviennent nos seuls interlocuteurs.
Je n’appelle pas cela le progrès ! D’autant que ce progrès technologique que nous vantent certains humains se fait au détriment de la grande majorité de l’humanité. Et cela n’a évidemment rien à voir avec le progrès humain.
Loin de mettre un terme aux travaux pénibles, ce processus est le progrès de notre dépossession. On le voit bien avec la dégradation des conditions de travail dans de nombreuses entreprises et administrations.
Où se situent maintenant la singularité, le contact direct, pourtant essentiels dans de nombreux domaines ?
L’informatique prétend nous simplifier la vie mais, en réalité, elle prend du temps et de l’attention au travail vivant en démultipliant les taches administratives.
Ce qui est dramatique c’est qu’on n’ait plus le choix … tu passes par internet point et tu te débrouilles … je suis polie ….Et alors, justement, il y a les « abandonnistes » comme on les appelle … 19% des français qui renoncent à passer par internet pour par exemple faire des achats, ou pour leurs loisirs …mais là ce n’est pas très grave car les commerces sont là mais ce qui est dramatique c’est que 39% de ces français qualifiés d’abandonnistes renoncent à toute démarche administrative… déclaration d’impôts, remboursement de mutuelles, prestations etc … etc ; et il se trouve que les jeunes ne font pas exception à la règle … C’est de l’autocensure qui les exclut de notre société actuelle
Les abandonnistes renoncent aux achats ou démarches liés aux loisirs ; ce qui n’est pas vraiment très grave. Ils renoncent aussi aux relations suivies et aux relations familiales ou amicales … mais il y a d’autres façons de se rencontrer que par le net ; ils sont en difficulté pour la recherche d’emploi, pour les démarches administratives et pour la recherche d’informations : là, c’est plus grave. On va obliger à passer par le net pour les démarches administratives. C’est prévu pour 2022. Cela signifiera que beaucoup de postes seront supprimés. Cela signifie aussi que l’on veut imposer la méthode numérique.
Tout cela concerne effectivement aussi les jeunes qui peuvent ne pas être obligatoirement à l’aise notamment dans la recherche d’emploi et dans les démarches administratives. C’est catastrophique.
C’est grave car cela attaque l’exercice de leurs droits et de leur citoyenneté
C’est effectivement là le fond du problème. Cela signifiera concrètement que le contact humain ne sera plus privilégié. On est dans une régression totale de la condition humaine. Cela ne peut que favoriser une société à deux vitesses avec beaucoup de laissés pour compte. C’est d’ailleurs ce que dénonce le collectif « Ecran Total » :
« L’informatique et la gestion détruisent nos métiers et dégradent nos relations sociales. Le savoir-faire est confisqué, le métier devient l’application machinale de protocoles déposés dans des logiciels par des experts.
La prétendue dématérialisation consacre en fait la surexploitation des ressources : composants métalliques ou plastiques des ordinateurs, data centers en surchauffe, câblages géants …le tout est fabriqué par les forçats du monde industriel et échoue dans les décharges qui se multiplient au Sud de la planète »
Cette période est envahie par la crainte d’un virus que l’on ne cherche pas à étudier véritablement ; je veux dire par là que l’on ne cherche pas vraiment à trouver les causes de ce virus mais on fait tout pour trouver des remèdes, couteux par ailleurs. Cette ambiance de peur sociétale a favorisé et renforcé cette numérisation ; et cette numérisation à marche forcée dans de nombreux domaines a laissé de côté de nombreuses personnes sous de faux prétextes. C’est là le drame de notre société qui a poussé à ce que l’individu se protège de son voisin à tout prix.
L’industrialisation, puis la numérisation sont les critères de cette société. Pour paraphraser Claude Lévi-Strauss on peut dire ceci : « L’humanité s’installe dans la monoculture. Son ordinaire ne comportera plus que ce plat »
Nemonte Nenquimo, l’Indienne waorani qui vit en Equateur a livré il y a peu un message pour l’Occident : « votre civilisation est en train de tuer la vie sur Terre. »
Il est temps de rappeler ce que disait Theodore Kaczynski, un célèbre mathématicien :
« […] si le développement du système-monde technologique se poursuit sans entrave jusqu’à sa conclusion logique, selon toute probabilité, de la Terre il ne restera qu’un caillou désolé, une planète sans vie, à l’exception, peut-être, d’organismes parmi les plus simples —certaines bactéries, algues, etc— capables de survivre dans ces conditions extrêmes ».
On joue à l’apprenti sorcier. On risque de le payer chèrement, nous les Humains.
Je voudrais terminer sur une note optimiste qui va peut-être réjouir celles et ceux qui sont illectronistes –et d’autres aussi ; c’est un témoignage : « Hier, réunion de 250 « vieilles personnes » lors d’un repas. Aucune n’avait un portable, une tablette. Manger, rire, chanter pour accompagner le guitariste. Une excellente journée sans appareils. La vraie vie. »
En réponse à ces paroles, voici une réaction : « Vous n’avez pas tout à fait tort, c’est tout à fait dans vos droits et encourageable. La vraie vie, c’est tellement mieux. C’est bien ce que vous faites et rien n’empêche de donner un coup de pouce par un intermédiaire si nécessaire ». La vie, en somme, la vraie !
Alors, l’Etat clame à qui veut l’entendre qu’il veut absolument réduire cette fracture numérique … Nous verrons comment, la semaine prochaine et où le bât blesse ….
Nous y reviendrons dans une prochaine émission.
Emission « l’air du temps » ; lundi 5 juillet, à partir de 9 h 40 environ.
Radio Plus Douvrin ; https://www.radioplus.fr/ ; 104.3 FM