L’illusion technocratique à la lumière de la 5G
Un dossier d’Alexandre Penasse
http://www.kairospresse.be/article/nouvelles-technolog
Ce dossier a été réalisé par un ami journaliste belge ; les acteurs sont souvent belges, mais avec les même enjeux qu’en France ou ailleurs ; il suffit dès lors de changer les noms.
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« Le pire des catastrophismes n’est pas d’annoncer les catastrophes quand on pense qu’elles se préparent, mais bien de les laisser survenir par le seul fait qu’on ne les a pas prévues et, pire encore, qu’on s’est interdit de les prévoir. C’est pourquoi je classerais volontiers dans la catégorie des »catastrophistes » les innombrables auteurs qui s’emploient à rassurer l’opinion, sans mettre en cause le système mondial, sa dynamique et son évolution ».
François Partant, La ligne d’horizon, essai sur l’après-développement.
« Si nous voulons empêcher une catastrophe mondiale, nous devons sans délai opter pour une action radicale, et agir vraiment, cette fois. Mais je ne pense pas que nous soyons prêts à le faire. Je pense que nous sommes foutus ».
Stephen Emmott, 10 Milliards.
« Nos dirigeants sont, en général, ceux qui ont le mieux intériorisé les objectifs du système et, par conséquent, sont immunisés contre les arguments et les preuves qui pourraient le remettre en question »
Clive Hamilton, Requiem pour l’espèce humaine.
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Préambule
Les multiples signaux que nous envoie la nature ainsi que l’état général de la vie et de la Terre qui l’accueille nous indiquent que nous sommes dans une période qui se caractérise par un risque inédit de disparition à grande échelle de l’espèce humaine. « Après une décennie marquée par la quasi absence d’actions concrètes, même en retenant les hypothèses les plus optimistes concernant la probabilité que le monde prenne les mesures nécessaires, et même en supposant qu’il n’y ait rien que nous « ignorions ignorer », un changement climatique aux conséquences dramatiques est à peu près certain ». Les preuves sont sous nos yeux : nous vivons la sixième crise d’extinction des espèces et la première causée par l’homme, la précédente, l’extinction Crétacé-Tertiaire, s’étant caractérisée par une disparition massive des animaux et des végétaux, notamment les dinosaures, il y a 66 millions d’années ; « le littoral arctique recule de 30 mètres par an dans des régions comme la mer de Laptev et la mer de Beaufort. Le Groenland et l’Antarctique perdent actuellement près de 475 milliards de tonnes de glace chaque année dans l’Océan (…) La fonte des glaces résultant de nos activités entraîne le rejet de quantités considérables de méthane contenues dans l’océan Arctique »; etc., etc.
« Une hausse supérieure [de 2° de la température moyenne] entraînerait le risque d’un changement climatique catastrophique menant très certainement à des « points de non-retour » irréversibles, causés par des phénomènes tels que la fonte de la calotte glaciaire du Groenland, le rejet du méthane emmagasiné dans le permafrost arctique ou encore le dépérissement de la forêt amazonienne ». Toutes les études montrent pourtant que nous dépasserons les 2°. « Il est fort probable que la hausse sera de l’ordre de 4°C – et il n’est pas exclu qu’elle atteigne 6°C. Une hausse de 4 à 6°C de la température mondiale serait dramatique. Elle mènerait à un changement climatique hors de tout contrôle, capable de faire basculer la planète dans un état radicalement différent. La Terre deviendrait un enfer ». « Les chiffres montrent que même une action rapide et durable au niveau mondial ne nous permettra probablement pas d’empêcher la température de la Terre de croître d’au moins 3°. La fonte des glaces du Groenland aboutira à une augmentation du niveau des mers d’environ 7 mètres, redessinant de façon spectaculaire la géographie de la planète ». La barrière de corail ne sera bientôt plus qu’un lointain souvenir, la désertification gagne partout du terrain, chaque jour des centaines d’hectares sont déforestés, des espèces disparaissent à jamais.
Au niveau social, tout est à l’avenant, jamais la misère n’a été aussi répandue : ici, au « Nord », dans les foyers qui survivent ; dans nos rues, avec les SDF, laissés-pour-compte de la mondialisation, qui meurent seuls alors que des milliards ne passent jamais par les caisses de l’État, filant directement vers les paradis fiscaux et que huit personnes possèdent plus que la moitié de l’humanité. Plus loin, dans les pays qui ne nous intéressent que parce qu’ils recèlent de matières qui permettent la continuité de nos modes de vie « non négociables », où nous plaçons dictateurs et autres despotes qui assureront nos importations et, pour ceux qui se rebifferaient et tenteraient l’indépendance, nous leur enverrons nos troupes au nom des Droits de l’homme et autres valeurs pétries d’altruisme.
La fuite en avant alors qu’il y a urgence
Soit, nous connaissons ces chiffres, ces faits, ces images que les médias de masses nous passent avec fréquence, entre deux pages de publicités, imposant cette double dimension schizophrénique changement/continuité, qui finit par éroder notre moral. Mais alors que cette connaissance devrait nous enjoindre de tout faire pour ne plus jouer le jeu, coupant nos télés et recréant des agoras partout pour réfléchir au futur, dans un contexte d’État d’urgence écologique révélant bien plus de pertinence que les gesticulations anti-terroristes des gouvernements, les technocrates nous assurent le « changement dans la continuité », en promettant la transition énergétique et la révolution numérique, censées nous libérer du fardeau du travail et assurant une meilleure communication entre les hommes. Comme l’explique Clive Hamilton, « Les meilleurs climatologues du monde font aujourd’hui monter le signal d’alarme à un niveau sonore assourdissant, car le délai pour agir a pratiquement expiré, et pourtant, tout se passe comme si ce signal était inaudible à l’oreille humaine ».
Un des miracles de cette « transition » serait notamment la 5G, une technologie venant après la 4G et qui permettra d’atteindre des débits en terme de télécommunication mobile de plusieurs gigabits de données par seconde. Et comme le vent, la pluie et les marées, il ne sera pas question de questionner, sauf sous la forme habituelle du spectacle, où tout est déjà écrit mais où l’on nous fait croire dans les possibilités d’influer sur la trame du récit : l’option du refus n’est pas prévue, on fera donc tout (à renfort de propagande publicitaire dans les rues, à la télévision, la radio, dans les journaux) pour que vous ayez l’impression de le vouloir, d’exprimer votre moi profond quand vous demanderez la 5G. En septembre 2018, Qualcomm, entreprise américaine active dans le domaine de la technologie mobile (Chiffre d’affaires 25,3 milliards de dollars), n’affichait-elle pas dans Tout Bruxelles, sur les supports propriété de l’entreprise JC Decaux, le message : « La 5G va créer de nombreux emplois. Et notre travail, c’est de créer la 5G ». Dès lors, plus besoin de vrais débats contradictoires. Opérateurs téléphoniques, politiciens, médias, comité mis en place par la Ministre bruxelloise de l’environnement, tous sont acquis à la 5G, certains émettant des doutes affectés, d’autres marquant leur assurance, mais tous convaincus de ce qu’il faut atteindre. Notre chaîne nationale, la RTBF, éprise de cette croyance arbitraire et illusoire qu’« on n’arrête pas le progrès », illustrant sous l’argument de la nécessité l’injonction de l’histoire qui s’écrit seule : « Mais il y a un timing à respecter. La Commission européenne veut que chaque État membre, (et ça vaut aussi pour la Belgique) dispose d’une couverture 5G dans, au moins, une ville pour 2020. Et en 2025, ce sera l’ensemble des zones urbaines qui devront disposer d’une couverture 5G. Y compris les grands axes routiers. On est vraiment dans la dernière ligne droite », avant le mur…
À ce niveau, un extraterrestre débarqué sur la Terre ne serait pas convaincu par tout ce que nous venons de dire, car nous n’avons encore rien dit sur la 5G. Au fait des risques de disparition de notre civilisation, dont il a pris connaissance ici, s’il est un tant soit peu lucide et sain d’esprit, il doit se dire que la 5G est sans doute quelque chose de formidable, un antidote en quelque sorte, ce remède qui nous permettra de nous en sortir. Nous n’osons pas lui expliquer ce qu’apportera réellement à l’homme cette innovation, tellement nous sommes proches du néant : « Avec la 5G, les utilisateurs devraient pouvoir télécharger un film haute définition en moins d’une seconde (tâche qui peut prendre 10 minutes en 4G). Et les ingénieurs sans fil affirment que ces réseaux vont également stimuler le développement d’autres nouvelles technologies, telles que les véhicules autonomes, la réalité virtuelle et l’Internet des objets ».
En somme, nous devrions toujours évaluer la nouveauté à l’aune de cette question que posait George Orwell : « Cela me rend-il plus ou moins humain ? ». Si nous pouvons montrer tout ce que cette technologie ôtera à l’homme, il est impossible de dire ce qu’elle lui apportera, alors qu’une grande partie n’a déjà rien, et qui le rendra plus humain, c’est-à-dire capable de vivre pleinement en harmonie avec la nature, de se contenter du minimum, de saisir et comprendre ce qu’il vit, de se rapprocher des autres sans chercher à avoir plus. Qu’y a-t-il d’humain à télécharger un film en moins d’une seconde ?
La croissance, encore et toujours
Le seul et unique leitmotiv, toujours : la croissance, signifiant toujours plus de produits issus de l’exploitation de la terre et des hommes du « Sud », venant par avions, camions, supertankers : « L’association entre croissance économique et progrès est si profondément ancrée dans les modes de pensée – qu’ils soient progressistes ou conservateurs, elle est défendue avec tant de vigueur, qu’elle ne peut être fondée que sur un lien empirique banal entre augmentation de la consommation matérielle et augmentation du bonheur d’un pays ». Dominique Leroy, grande patronne de l’opérateur de téléphonie Proximus (entreprise publique classée en bourse, l’État étant actionnaire principal) n’allait-elle pas dans ce sens déjà en 2015, lorsqu’invitée au Parlement pour une « audition sur la future politique de Proximus », elle reviendra avec cette litanie du « retard »:
« L’Europe est actuellement à la traîne par rapport à l’Amérique et à l’Asie en matière de développements technologiques et de niveau des investissements dans les TIC. Cette baisse [de la croissance, en Europe, des revenus provenant de l’activité numérique] est due principalement à la législation trop stricte, qui entrave l’innovation ». L’argumentation est toujours identique : on se compare à l’autre et on en déduit qu’il faut aller plus vite. Ensuite, on identifie les causes du retard (« des normes trop strictes ») et on fait pression (lobby, propagande médiatique, distributions d’« avantages » divers, mise en place de comités adoubés par les gouvernements…). Dans ce processus, la nécessité économique fait loi : « Bien que les niveaux de prix soient importants, il faut investir en permanence au profit de l’économie numérique (…) Ce n’est qu’en investissant et en innovant qu’il est possible de générer une croissance ».
Jamais le bien commun ni l’environnement ne sont ainsi invoqués comme principes supérieurs. Et ce n’est que logique, car on ne peut assurer en même temps la croissance économique et le bien commun. L’élément qui domine tout, c’est le principe de croissance, donc de profit, le reste devant suivre obligatoirement : « Le déploiement de la 5G nécessite une densification du réseau, c’est-à-dire que concrètement, des antennes supplémentaires doivent être installées ». Nous ne sommes plus dans le domaine des propositions qui devront être soupesées ultérieurement lors d’un débat démocratique, mais dans celui de l’ordre, où la réalité n’aura qu’à s’adapter : « L’innovation, surtout l’Internet des objets (“Internet-of-things”), y compris dans le domaine de la mobilité et de la cybersécurité, va radicalement modifier le paysage des télécoms. » Le paysage est pensé, il ne reste plus qu’à trouver les peintres. Il faut toutefois persuader les sujets que les peintres ne s’affairent que pour eux et constamment assurer le spectacle du bien commun en recourant aux professionnels de la communication : « La mission de Proximus est de maintenir les personnes en permanence en contact avec le monde de manière à ce qu’elles puissent vivre mieux et travailler plus intelligemment ».
Pour en savoir plus,
- allez sur le site de kairospresse
- lire la pièce jointe : Nouvelles technologies et transition numérique