Un déploiement à marche forcée, avec peu d’engouement et toujours des inquiétudes
Quatre ans après le lancement de la 5G, force est de constater qu’il n’y a pas d’engouement pour cette technologie. Néanmoins, le déploiement continue et les inquiétudes demeurent.
La 5G a commencé a être déployée en France, à la fin de l’année 2020. Il existe très peu d’études scientifiques sur ses effets sur la santé humaine.
L’engouement pour la 5G ne semble pas au rendez-vous, puisque seules 15 % des cartes SIM utilisaient cette 5e génération de téléphonie mobile, fin 2023.
Les inquiétudes demeurent quant aux effets de ces ondes électromagnétiques sur la santé. Le 16 juin est la journée mondiale de l’électrosensibilité qui touche près de trois millions de personnes en France.
L’expansion de la 5G pose aussi la question de l’addiction aux écrans et de l’impact des usages numériques sur le réchauffement climatique. Le Haut conseil sur le climat alerte sur la hausse des émissions de CO2 due au déploiement de la 5G.
Les chiffres parlent d’eux-mêmes : « Les utilisateurs ne se sont pas emparés de cette nouvelle technologie ; la 5G ne suscite pas autant d’intérêt que la 4G à l’époque », confie à Enquêtes d’actu un analyste de l’Autorité de régulation des communications électroniques (Arcep).
« Au bout de trois ans de déploiement de 5G, il y a autant de clients qu’en un an de 4G, ça prouve bien qu’il y a une très faible demande », constate aussi Sophie Pelletier de l’association Priartem, qui bataille contre cette 5e génération de téléphonie mobile.
En effet, à la fin de la première année du déploiement de la 4e génération, en 2014, l’Arcep recensait 15 % de cartes actives en 4G. Et dans les années qui suivirent, l’augmentation fut fulgurante. Par comparaison, il a fallu attendre trois ans pour que la 5G atteigne ce seuil des 15 %. Et encore… « Il est fort probable que le nombre d’abonnements à la 5G soit davantage dû au changement de terminaux [téléphones portables, NDLR] fournis par les opérateurs avec la 5G qu’à une demande explicite des consommateurs », estime notre même source à l’Arcep.
La promesse de ces nouvelles fréquences, arrivées sur le marché en décembre 2020, est de diviser par dix la latence, envoyer et recevoir plus de données et augmenter le nombre d’objets connectés. Pourtant, les pourfendeurs de la 5G dénoncent l’imposition d’une nouvelle technologie inutile.
Si on développe une technologie, ce n’est pas juste parce qu’on aime la technologie, c’est aussi parce qu’elle peut servir à quelque chose. Or, personne n’est capable de nous dire à quoi sert la 5G.
Stephen Kerckhove, directeur général d’Agir pour l’environnement.
Marine Cholley, tête de liste du parti Equinoxe pour les élections européennes (mouvement politique qui lutte contre le technosolutionnisme et pour la sobriété, notamment), ne s’oppose pas à la 5G, mais émet de grosses réserves : « La 5G, pour quoi faire ? Les usages qu’on nous a promis sont les visio-conférences, les voitures autonomes et la surveillance urbaine et privée. Est-ce la société vers laquelle nous voulons aller ? Je n’en suis pas certaine, parce que nous, nous prônons plus de liens. On ne pense pas que le jeu en vaut la chandelle. »
Les moins de 30 ans n’ont jamais été autant consommateurs de psychotropes, n’ont jamais autant séjourné en hôpital psychiatrique. On a un rapport à la technologie qui nous enferme et qui fait beaucoup de dégâts auprès des plus jeunes.
Marine Cholley, candidate aux élections européennes pour le parti Equinoxe.
Pour Stephen Kerckhove, d’Agir pour l’environnement, « le premier impact sanitaire de la 5G sera l’addiction aux écrans » : « Alors même qu’un adolescent âgé de 13 à 18 ans passe déjà 6h40 par jour devant un écran, il y a fort à craindre que l’arrivée de la 5G finisse d’entraîner cette génération dans le gouffre numérique et ses multiples bulles cognitives. »
Les associations Priartem et Agir pour l’environnement, pour qui « l’hyper-connexion généralisée induit des effets psycho-sociaux délétères », ont lancé une pétition toujours en ligne qui a recueilli près de 130 000 signatures.
« Il n’y a pas eu suffisamment de recherches »
Un enthousiasme modéré pour cette technologie qui pourrait aussi s’expliquer par les craintes qui demeurent encore et toujours quant aux effets des ondes électromagnétiques.
À Conteville, village d’à peine 1 000 habitants dans l’Eure (Normandie), l’autorisation par le conseil municipal d’implantation d’une antenne 4G et 5G a dû se faire à huis clos. En avril 2024, neuf élus contre deux ont accepté la mise en route de cette antenne-relais tout près du terrain de foot. « Nous n’avons pas particulièrement apprécié le huis clos, car nous ne sommes pas des voyous, mais des citoyens qui recherchent le dialogue », témoignait Guylaine Touzé, membre d’un collectif opposé au projet.
Cette quarantaine d’habitants aimerait voir l’antenne s’installer ailleurs. Ces riverains s’inquiètent des possibles effets sur la santé et appelaient la mairie à « respecter le principe de précaution ». « Il n’y a pas eu suffisamment de recherches de faites », estime Ghislaine Touzé, dont la maison est située à une centaine de mètres de l’emplacement prévu.
Et si Ghislaine et les autres habitants de Conteville s’inquiètent, c’est notamment parce qu’en mai 2011, le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC), basé à Lyon (Rhône), a classé les champs électromagnétiques de radiofréquences comme « peut‐être cancérogènes pour l’homme ».
Des craintes d’autant plus compréhensibles que plusieurs clusters de cancers pédiatriques sans cause identifiée ont été recensés en France. L’un se situe à soixante kilomètres de Conteville : entre Pont-de-l’Arche et Igoville (Eure). 17 enfants issus de ce petit territoire souffrent de cancers.
L’un d’eux est décédé en février 2024. Ethan avait 9 ans. « On sait bien que c’est multifactoriel, qu’il n’y a pas qu’un seul responsable, mais on veut des réponses », interpelle Charlène Bachelet, présidente de Cancers, la vérité pour nos enfants. La nocivité supposées des ondes électromagnétiques interroge évidemment.
Preuve de l’angoisse suscitée localement, le gérant d’un garage automobile à Igoville, a refusé la généreuse proposition de Bouygues Telecom d’installer une antenne 5G sur son terrain. « La région est touchée par une problématique de nombreux cancers d’enfants dont on ne connaît pas les causes. J’ai moi-même deux enfants, je suis donc sensibilisé à cette question. J’ai préféré décliner l’offre de Bouygues », témoigne Arnaud Dorival auprès de la Dépêche de Louviers. Ce chef d’entreprise s’est assis sur plus de 150 000 euros de gains pour une concession de dix ans.
« Il y a beaucoup de diabolisation »
Les enfants sont soumis à des émissions bien plus importantes chez eux où il y a des ampoules, un compteur Linky, un micro-ondes, un réseau wifi et un téléphone dans la poche. Il y a beaucoup de diabolisation par rapport aux ondes. Bénédicte Mary-Lemaux, première adjointe de Conteville.
Stephen Kerckhove, directeur général d’Agir pour l’environnement, juge « curieux ce raisonnement » : « Qu’est-ce qui justifie qu’on doive en rajouter ? » L’auteur du Meilleur des e-mondes (éd. Rue de l’échiquier) constate non pas un remplacement d’une technologie par une autre, mais « une augmentation progressive du niveau d’exposition. En fait, la 2G n’a pas été remplacée par la 3G, qui n’a pas été remplacée par la 4G, qui n’a pas été remplacée par la 5G. On assiste à une accumulation d’expositions ».
Qu’est-ce qu’une onde électromagnétique ?
« Une antenne de radio ou de télévision, un téléphone mobile en fonctionnement créent des champs électromagnétiques qui se propagent dans l’environnement, sous forme d’ondes. Il existe également des champs électromagnétiques d’origine naturelle comme le champ magnétique terrestre, ou encore les champs créés par la foudre. Les rayonnements ultraviolets et la lumière visible issus du soleil font aussi partie des ondes électromagnétiques d’origine naturelle. Les ondes transportent de l’énergie et peuvent servir de support à la transmission de données, raison pour laquelle elles sont utilisées dans le domaine des radiocommunications. »
Source : Anses
Les ondes, la hantise des électro-hypersensibles
Une perspective qui a de quoi angoisser les personnes souffrants d’électrosensibilité. Ils seraient près de trois millions en France. Pierre* est un de ceux-là. Les symptômes les plus fréquents sont des sensations de brûlures, la fatigue, des troubles digestifs, des nausées, des palpitations cardiaques ou encore des étourdissements. Selon l’Organisation mondiale de la santé, « cet ensemble de symptômes ne fait partie d’aucun syndrome reconnu », mais les malades les attribuent à leur exposition aux champs électromagéntiques.
Pour Pierre, c’est arrivé du jour au lendemain. Après avoir consulté un médecin dont la fille est elle aussi électrosensible, il a obtenu un arrêt de travail. Cela fait six mois qu’il est dans cette situation et son avocat a mis en demeure l’entreprise de mettre en place une connexion internet exclusivement filaire pour lui permettre de revenir à son bureau.
Jean et Marie*, les parents de Pierre, ont acheté une maison proche de la baie de Somme pour leur retraite. « Dès que Pierre est arrivé dans la maison, il a été très gêné et il a tout de suite détecté les antennes 4G, à la caserne de pompiers et celle de l’hôpital », raconte son père. Antennes dont les parents ignoraient l’existence.
« Au début, on le soupçonnait de faire des manières et de trouver de fausses excuses pour ne pas venir nous voir, sourit sa maman. Mais quand on voit qu’il est capable de détecter les émissions d’ondes, on ne peut que le croire. »
Le flou de la science
Fin 2020, l’État a mis aux enchères de nouvelles fréquences allant de 3,5 gigahertz (GHz) jusqu’à 26 GHz, pour permettre l’utilisation de la 5G. Cette 5e génération exploite aussi les fréquences inférieures des générations précédentes. En contrepartie, l’État a reçu des opérateurs 2,8 milliards d’euros.
À l’époque, ce virage technologique avait suscité une vive polémique entre les élus et la Convention citoyenne pour le climat qui demandaient un moratoire, et le président de la République qui comparait les sceptiques aux « Amish » prônant un « retour à la lampe à huile ».
Mais si quatre ans après, les réserves demeurent, c’est que la science n’apporte pas d’analyse suffisamment rassurante sur le sujet. Ghislaine Touzé, habitante de Conteville opposée à l’installation d’une antenne-relais, avait raison de pointer la faiblesse de la littérature scientifique.
C’est ce que mentionne également l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) dans son étude conclusive de février 2022 : « Il existe très peu de publications qui ont examiné les effets biologiques ou sanitaires des ondes électromagnétiques dans ces bandes de fréquences [700 MHz à 3,5 GHz, NDLR] sur des modèles cellulaires in vitro, chez l’animal ou chez l’Homme ».
Même chose pour les fréquences plus élevées utilisées par la 5G : « À l’heure actuelle, les données ne sont pas suffisantes pour conclure à l’existence ou non d’effets sanitaires liés à l’exposition aux champs électromagnétiques dans la bande de fréquences autour de 26 GHz. »
(©Raphaël Tual / Enquêtes d’actu)
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