- Boulimie de métaux, impasses du recyclage et dangers d’incendie
La faillite du suédois Northvolt douche les espoirs d’une filière européenne des batteries. Elle interroge aussi la priorité accordée aux véhicules particuliers, alors que l’électrification ne présente des bénéfices environnementaux que pour les transports en commun, alimentés en continu par le réseau. Car le recours croissant aux accumulateurs rechargeables présente des écueils trop souvent négligés.
rojets incontrôlés, santé en danger ». Le 22 février 2024, une centaine d’habitants de Viviez, dans l’Aveyron, manifestaient leur inquiétude derrière cette banderole. Cinq jours plus tôt, 1 200 tonnes de batteries électriques usagées avaient pris feu dans un entrepôt de la Société nouvelle d’affinage des métaux (SNAM), entraînant un énorme nuage de fumée devenant parfois blanc, parfois bleuté. Des résidus carbonés et certaines pièces métalliques encore en fusion seraient retombés à plus de quatre kilomètres, nous assure M. Laurent Alexandre, député La France insoumise (LFI) de la circonscription.
Pour éviter la propagation du feu, les batteries doivent être stockées selon leurs types, dans des cellules séparées par des murs coupe-feu. Mais les entrepôts partis en fumée ne faisaient pas partie des installations classées « Seveso, seuil haut » que possède la SNAM dans la ville. Cette entreprise spécialisée dans le traitement des déchets conservait son surplus, notamment de batteries au lithium, en dehors de tout cadre réglementaire dans d’anciens bâtiments de la Société pour l’amélioration et la valorisation de l’environnement (Sopave). Malgré les nombreuses irrégularités relevées les années précédentes par la direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (Dreal), l’État n’avait appliqué aucune sanction.Après avoir improvisé un confinement des habitants dans les cinq cents mètres alentour le jour de l’embrasement, la préfecture s’est plutôt efforcée de tranquilliser la population : « Les mesures effectuées dans le cadre de plusieurs contrôles sont rassurantes », annonçait-elle par communiqué le lendemain. « Il n’y a aucune procédure sérieuse pour mesurer la pollution due à ce type d’incendie sur les habitants ou l’environnement, rétorque M. Alexandre. L’incendie s’est déclaré vers 14 heures et les premières mesures n’ont été effectuées qu’en début de soirée, bien après la dissipation du nuage dense de fumée. »
Va-t-il falloir s’habituer à ce genre d’accident dans les pages faits divers des journaux ? Le 1er septembre 2024, l’incendie d’une batterie de trottinette électrique en charge dans un appartement de Nice ravage un immeuble et cause la mort d’une femme d’une cinquantaine d’années. Le 22 septembre 2024, à Tergnier (Aisne), la batterie d’une voiture explose et enflamme la maison et le garage de son propriétaire. Le 15 octobre 2024, L’Indépendant publie le témoignage d’un habitant de Foix, en Ariège, dont le tiers de la surface corporelle a été brûlé à la suite de l’explosion de la batterie de son vélo.
La dangerosité des piles et des batteries au lithium-ion tient à leur vocation même, qui est d’emmagasiner un maximum d’énergie, expliquait M. Arnaud Schoub, directeur du centre de recyclage de batteries de Veolia en Moselle, lors des premières assises de la prévention de ce type de risque, à Paris, le 17 juin 2022 : « Cette énergie se libère sous forme de feu si on met accidentellement en court-circuit des éléments à l’intérieur de la batterie, car ils contiennent du solvant, généralement hautement inflammable, mais également des métaux, comme le lithium ou le cobalt, qui ont une disposition à s’enflammer assez facilement et à dégager une quantité d’énergie considérable. » Une simple percussion ou une défaillance interne peut aussi provoquer un emballement thermique. Le phénomène est tel que des formations spéciales sont dispensées aux pompiers pour tenter de maîtriser ces combustions très longues et dangereuses, souvent accompagnées d’explosions.
Au cours des dernières années, les accumulateurs électriques au lithium ont envahi de nombreux objets, sous diverses formes. Les piles (accumulateurs non rechargeables) alimentent les cigarettes électroniques jetables, les cartes d’anniversaire musicales, les jouets, les babioles des marchés de Noël, etc. Les batteries proprement dites (accumulateurs rechargeables) font fonctionner téléphones portables, ordinateurs, tablettes, GPS, montres connectées, outils électroportatifs, drones, trottinettes, vélos, motos et voitures, pour ne citer que les usages les plus répandus. Immanquablement, les quantités exponentielles de batteries au lithium requises se transforment, quelques années plus tard, en montagnes de déchets dans des centres de recyclage respectant plus ou moins les normes.
La catastrophe de Viviez est loin d’être un cas isolé. « En dix ans, les incendies liés aux batteries au lithium ont bondi de 150 %. Et, dans 60 % des cas, ils surviennent dans les centres de tri », confiait récemment la secrétaire générale de la Fédération professionnelle des entreprises du recyclage (Federec), Mme Géraldine Bulot. Lors des premières assises de Paris, en 2022, M. Jérôme Auclair, le directeur d’Environnement Recycling, témoignait d’une multiplication par quatorze de la prime d’assurance réclamée à son entreprise. En 2023, on recense des incendies dans les entreprises de recyclage Broyage criblage environnement (BCE) à Livry-Louvercy, Paprec à La Seyne-sur-Mer et Chartres, SNAM à Saint-Quentin-Fallavier ou Tri Ouest à Barbazanges. En octobre, l’incendie d’une batterie a complètement détruit les installations de l’usine Excoffier en Haute-Savoie, causant pour 35 millions d’euros de dégâts. Après celui du site de Bolloré Logistics à Grand-Couronne (Seine-Maritime), survenu en janvier 2023, la préfecture avait publié des analyses rassurantes, démenties par la suite. Un an plus tard, la Dreal de Normandie et le préfet ont mis en demeure l’entreprise « ayant pris en charge des déchets sans y être autorisée » de les retirer et de participer à l’« élimination de la pollution des eaux souterraines » (arrêté du 7 octobre 2024). Une enquête pour harcèlement aggravé a été ouverte après le suicide fin septembre d’un employé, témoin du départ de l’incendie et du dysfonctionnement du système de protection.
« On quitte les installations la boule au ventre »
En juillet 2023, l’entreprise Arc-en-ciel Recyclage à Izeaux (Isère) a également subi un énorme incendie, occasionnant l’évacuation d’une vingtaine de maisons voisines. Les confessions du patron de cette entreprise, M. Paul Barbargallo, ne sont pas vraiment rassurantes : « De mai à septembre, on quitte les installations le soir avec la boule au ventre. Sur le béton, en été, on peut atteindre les 46 ºC… La question n’est pas de savoir si on va avoir un incendie, mais quand ? Les quantités de piles et de batteries collectées ont doublé voire triplé. Sincèrement, je ne vois pas comment on va résoudre ce problème. »
Toutes les batteries usagées ne finissent pas dans des centres voués à leur entreposage ou leur recyclage. Des chercheurs de la Faraday Institution, un institut spécialisé dans ces technologies, ont observé partout dans le monde une augmentation des incendies liés aux batteries lithium se trouvant dans les déchets ménagers. Ils notent aussi que leur simple décomposition relâche une kyrielle de métaux lourds, de fluides chimiques, de poudres et de gaz encore en phase d’étude, comme cette mystérieuse vapeur blanche explosive et toxique observée parfois. Ils redoutent enfin que la généralisation des assistances électriques s’accompagne d’un marché concomitant d’occasion et de bricolage, avec son lot de décharges sauvages et d’exportation vers les pays pauvres.
Les incendies de batteries sont-ils un mal nécessaire au déploiement d’un mode de déplacement décarboné, notamment pour les automobiles, avec l’interdiction à la vente dans l’Union européenne de véhicules thermiques neufs à partir de 2035 ? Pour le président Emmanuel Macron, les voitures électriques permettront de « réconcilier l’industrie et l’écologie » (Libération, 31 octobre 2024). En décembre 2023, il déclarait « c’est ça, l’écologie à la française ! », en lançant une offre de location longue durée de voitures électriques à partir de 100 euros par mois à destination des Français ayant un revenu fiscal de référence inférieur à 15 400 euros.
Pour la mobilité électrique, comme pour beaucoup de nouvelles technologies, la plupart des dégâts environnementaux affligent les pays du Sud, où sont extraits les métaux nécessaires dans des conditions environnementales et sociales désastreuses. Les autorités françaises claironnent toutefois depuis quelque temps sa volonté de réimplanter des mines sur le territoire métropolitain. Est-ce par souci de relocaliser les nuisances de l’extractivisme minier ? Il semble que ce volontarisme tienne avant tout à l’explosion de la demande, qui a rendu rentables certains gisements. Il en est ainsi du projet d’extraction du lithium à Échassières (Allier), porté par Imerys. La multinationale française ambitionne de produire, à partir de 2028, 34 000 tonnes d’hydroxyde de lithium par an afin de construire 700 000 batteries pour véhicules électriques. Ces objectifs impliquent une myriade de nuisances propre à tout projet minier : des galeries de 400 mètres de profondeur, des dizaines d’hectares en surface artificialisés pour les différentes étapes de production (séparation, conversion, raffinage), des kilomètres de tuyauterie et une importante consommation d’eau (1,2 million de mètres cubes par an). Certains riverains s’inquiètent des futurs cumuls de déchets dangereux et des nombreuses menaces impactant la qualité de l’eau, des sous-sols et de la biodiversité, notamment de la forêt des Colettes, site Natura 2000 en bordure du lieu envisagé. M. Joseph P. fait partie des opposants réunis au sein du collectif Stop mines 03 : « Les anciennes mines de tungstène et de kaolin de la région nous ont laissé des sites pollués un peu partout. Cette mine, nous n’en voulons ni ici ni ailleurs. » Pour court-circuiter la contestation, l’État a tenté de passer en force trois mois avant la fin du débat public. Le 7 juillet 2024,
jour du second tour des élections législatives, le gouvernement signait un décret reconnaissant l’« intérêt national majeur » du projet pour lui permettre de bénéficier de dérogations administratives.
Des écologistes insistent sur la nécessité de « prendre sa part » dans la pollution minière. Mais, si les objectifs de conversion à l’électrique du parc automobile français demeurent inchangés, les nuisances locales ne vont pas remplacer les pollutions de l’autre bout du monde mais s’y ajouter. La journaliste et philosophe Celia Izoard constate la multiplication des projets miniers et déplore une fuite en avant : « Pour disposer de trente-neuf millions de voitures électriques en France, soit le parc actuel, il faudrait plus d’un an de production mondiale de cobalt, et près de deux ans pour le lithium. »
Relance du nucléaire
Une fois les métaux extraits, il reste à les assembler. Ce à quoi s’activent les usines géantes de la « vallée de la batterie », en cours de développement dans les Hauts-de-France et portées par les entreprises Envision AESC, Automotive Cells Company (ACC), ProLogium et Verkor. Cette dernière est parvenue à lever plus de 3 milliards d’euros après seulement quatre ans d’existence — du jamais-vu. Présentés comme « le plus long bâtiment de France » — équivalents à « dix-huit fois Notre-Dame de Paris » —, ses locaux implantés à Bourbourg, près de Dunkerque, s’étendent sur 80 hectares d’anciennes terres agricoles. Les 90 000 tonnes de batteries qu’elle doit produire chaque année à partir de l’été 2025 devraient occuper un volume comparable à la pyramide de Khéops. Il s’agira d’équiper 300 000 automobiles « de segment supérieur des marques de Renault Group et notamment, dès 2025, le futur C-Crossover GT 100 % électrique d’Alpine », soit des véhicules tout-terrain de loisir dont le prix de vente sera supérieur à 60 000 euros.
Si la jeune entreprise grenobloise Verkor, comme sa consœur taïwanaise ProLogium, a choisi de s’installer sur les terrains du grand port maritime de Dunkerque (GPMD), ce n’est pas par amour du nord de la France, mais parce que la région se veut un modèle de « réconciliation » de l’industrie et de l’écologie, largement soutenu par la collectivité : environ 650 millions d’euros de subventions doivent être alloués à la première, selon son site, et 1,5 milliard à la seconde (Le Figaro, 3 août 2023). Le GPDM propose des procédures d’installation simplifiées, « clés en main », sur les milliers d’hectares de terres agricoles riches et fertiles qu’il a expropriés dans les années 1970. En outre, cette ancienne région marécageuse située au niveau de la mer est parsemée de fossés de drainage, les wateringues, où l’on peut puiser de grandes quantités d’eau et déverser les rejets pollués, dispersés par les courants de la mer du Nord. Plus encore, le Dunkerquois compte, pour faire tourner les installations, sur l’électricité des six réacteurs de la centrale nucléaire de Gravelines, la plus importante centrale d’Europe de l’Ouest, qui pourrait être complétée par deux nouveaux réacteurs de type EPR, dont la construction est soumise actuellement au débat public.
L’industrie de la région se convertit à la religion du décarboné grâce à la relance du nucléaire. D’ici à quelques années, la consommation électrique de toutes les industries envisagées pourrait atteindre des records, si le projet (pour l’instant suspendu) de construction de deux fours électriques géants par ArcelorMittal pour produire de l’acier se concrétise : 3 500 mégawatts à l’horizon 2030 et 4 500 mégawatts à l’horizon 2040, ce qui équivaut à la consommation de 4,5 millions d’habitants, selon le site de RTE, le gestionnaire du réseau de transport d’électricité français. La circulation des marchandises devrait également exploser dans la région : le GPMD prévoit de doubler la taille de son terminal de conteneurs, autour duquel toutes les nouvelles entreprises de la vallée de la batterie se regroupent.
Autre conséquence de ces milliards d’euros déversés pour la « transition » : la région souffre d’une grande pénurie de main-d’œuvre. À la mission locale de Bourbourg, on nous explique que le bassin local ne suffira pas pour satisfaire toutes les offres d’emploi. Le chocolatier Cémoi a déjà du mal à recruter ou conserver ses ouvriers. La communauté urbaine de Dunkerque envisage la construction de douze mille nouveaux logements en dix ans. Un « RER littoral » est prévu pour amener les salariés depuis la région de Calais, à une quarantaine de kilomètres. « On est en train de perdre notre identité », nous répète-t-on dans un bar où quantité d’habitants se disent « envahis » par ces nouvelles usines. Alors que la réindustrialisation est présentée comme une « arme anti-Rassemblement national » par le député et ancien ministre macroniste Roland Lescure, le RN progresse dans toutes ces communes.
Reste à voir si les futures usines géantes, toutes classées « Seveso, seuil haut », échapperont aux incendies de batteries, qui se multiplient également en Asie. Le 24 juin 2024, un incendie a par exemple causé la mort de vingt-trois personnes dans une usine de Corée du Sud. L’incident, s’ajoutant aux multiples feux touchant des véhicules, a, selon L’Usine nouvelle, provoqué une « psychose collective » dans un pays où nombre de conducteurs « souhaitent se séparer de leurs voitures électriques » (19 août 2024). Les promoteurs de ces technologies considèrent, eux, les incendies comme anecdotiques et misent sur l’intelligence artificielle pour les prévenir.
Le recours croissant aux batteries pose aussi la question de leur destination. La propulsion d’une automobile demande en moyenne 300 kilogrammes d’accumulateurs, dont la durée de vie serait de huit à douze ans. Que deviendront-ils ? Les industriels colportent la fable du recyclage et d’un cercle vertueux de réutilisation à l’infini de la « mine urbaine » que représenteraient les déchets. Dans l’Union européenne, le recyclage des batteries est officiellement obligatoire, selon une directive du 6 septembre 2006. Mais ce volontarisme réglementaire se traduit difficilement dans les faits.
La méthode la plus simple, la pyrométallurgie, consiste à faire fondre les batteries pour récupérer un alliage de cobalt, cuivre, fer et nickel. Le reste des composants (plastiques, graphite, aluminium et composants chimiques comme le manganèse et le lithium) part en fumée, volontairement cette fois. Extrêmement énergivore et polluant, le procédé, principalement pratiqué en Chine, en Corée du Sud et à Singapour, ne permet pas de récupérer le lithium comme l’impose la directive européenne. C’est pourquoi on donne la priorité à un autre procédé, l’hydrométallurgie. La première étape de ce processus passe par le broyage des batteries, ce qui permet de séparer les plastiques et l’aluminium pour ne conserver qu’une poudre, le broyat noir, qui contient les métaux et du graphite. Ensuite, des solvants acides ou basiques, plus ou moins toxiques, permettent d’extraire, par dissolution, les métaux.
Exporter le broyat noir sous d’autres cieux
Officiellement ce procédé fonctionne en France depuis une vingtaine d’années, grâce à la société Récupyl, fondée par le Grenoblois Farouk Tedjar, présenté il y a plus d’une décennie comme le messie de la mine urbaine ou un « obsédé de l’accu », dénicheur d’un véritable « filon écolo » (Libération, 25 novembre 2012). Entre 2014 et 2020, plusieurs ambassades et consulats français à l’étranger présentaient même cette petite entreprise comme « une démonstration de l’excellence universitaire française et une preuve de l’efficacité du soutien des pouvoirs publics ». Dans les faits, la société installée à Domène, dans la banlieue de Grenoble, a connu plusieurs incendies, redressements judiciaires et rachats, mais n’a jamais dépassé le stade du broyat noir, selon une inspection de la Dreal Auvergne-Rhône-Alpes du 7 janvier 2020. Que devient-il après ? Selon le service de communication de Récupyl, la poudre est envoyée « en dehors de l’Europe, vers d’autres pays de l’OCDE [Organisation de coopération et de développement économiques], en Asie ou en Amérique du Sud ».
Les effets d’annonce en hydrométallurgie sont légion. Ainsi, la SNAM avait prévu en 2018 une « nouvelle usine de batteries neuves issues à 80 % de composants recyclés », avant d’abandonner le projet, dénommé Phénix batteries en 2022. Cedilor, un site de Veolia à Amnéville (Moselle), avait aussi beaucoup d’ambition pour l’hydrométallurgie : « D’ici à fin 2023, ce professionnel de l’industrie chimique devrait être en capacité de recycler les métaux contenus dans vingt mille tonnes de batteries de véhicules électriques. » Pour l’instant, le service communication admet que les sels métalliques récupérés ne sont pas de « grade batterie » et requièrent un traitement ultérieur. Où ? L’entreprise est avare en détails…
La vallée de la batterie prétendait également régler ce problème de recyclage avec deux sites.
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