Vidéo-surveillons les élu.es !

Tour d’horizon des caméras en Occitanie et des moyens de s’y opposer

Extraits

Études et réflexions sur les caméras

Ce raz-de-marée sécuritaire se poursuit malgré toutes les études démontrant l’inefficacité et la dangerosité de la vidéosurveillance pour le vivre-ensemble.

Le journaliste Hubert Guillaud constate que « la vidéosurveillance semble une politique sécuritaire qui se développe à la place d’une offre de sociabilité et de cohésion sociale, de loisirs et de vivre ensemble, d’une politique de prévention ou d’accompagnement des populations en difficulté qui seraient peut-être plus utiles pour développer un sentiment de sécurité et une meilleure sociabilité. Mais les budgets pour la prévention de la délinquance sont partis dans la vidéosurveillance et celle-ci n’a eu aucune action sur le vivre ensemble, au contraire : elle semble plutôt en aiguiser l’intolérance». Hubert Guillaud propose un beau résumé : « Les caméras produisent un contrôle improductif, enregistrent les tensions plus qu’elles ne les résolvent, criminalisent les incivilités plutôt que de les apaiser ».

Sud Éducation en 2005 expliquait que « les dispositifs sécuritaires ne viennent jamais à bout de ce qu’ils prétendent éliminer : ils radicalisent une opposition entre deux camps d’où émergent ceux qui sont prêts de part et d’autre à aller plus loin – et il y en a toujours pour alimenter l’escalade. Ils survalorisent une conception de l’autorité fondée sur l’infantilisation, le soupçon globalisé, la menace et la contrainte permanentes (…). L’autorité (…) s’appuie d’abord sur un contrat tacite (…) le détenteur de l’autorité (…) peut leur faire confiance a priori parce qu’il est entendu que les règles de fonctionnement qu’il impose sont les conditions d’un travail à leur propre enrichissement et à la valorisation de leur propre pouvoir en tant que citoyens ».

La Cour des comptes a mené une enquête dans 57 villes françaises, dont Nîmes. Dans son rapport de 2020, elle est sans nuance : « aucune corrélation globale n’a été relevée entre l’existence de dispositifs de vidéo-protection et le niveau de la délinquance commise sur la voie publique, ou encore les taux d’élucidation».

Dès 2011, L’Humanité rapporte que la Cour des comptes met en avant que « les différentes études conduites à l’étranger, notamment au Royaume-Uni, aux Etats- Unis et en Australie, ne démontrent pas globalement l’efficacité de la vidéosurveillance de la voie publique (…) la Cour des comptes cite l’exemple de Lyon. La ville a évalué l’efficacité du dispositif dans 57 zones, surveillées et non surveillées. Dans les premières, la délinquance a diminué de 23,5% en trois ans.

Dans les secondes, de 21,9%. La différence n’est donc pas significative. Et parmi les délits élucidés, une quantité négligeable l’ont été grâce à l’usage de caméras (…) les statistiques départementales présentent parfois une grande instabilité qui peut faire douter de leur fiabilité. Ainsi, en 2009, celles de la délinquance de proximité ont connu des inversions de tendance de grande ampleur, comme dans le Haut-Rhin, où une baisse de 12,2 % en 2008 a laissé place à une hausse de 14,6 % l’année suivante.

Ce phénomène a été observé en Gironde, dans la Manche, le Morbihan, l’Orne, l’Oise, l’Ain, en Ille-et-Vilaine, la Haute-Corse, la Haute-Savoie. » Comment de telles variations sont possibles ? Le rapport note qu’« en 2009 la reprise à la hausse de la délinquance a été évitée en grande partie par le refus des services d’enregistrer des plaintes » de victimes d’escroquerie. Il évoque aussi, à titre d’exemple, les violences intrafamiliales, qui sont enregistrées par la police « selon la qualité de la victime ou la nature des faits sous une quinzaine d’index statistiques qui ne leur sont pas réservés », si bien qu’on ne peut pas mesurer leur part dans les atteintes à l’intégrité physique des personnes ».

Laurent Bonelli est quant à lui maître de conférences en science politique à Nanterre, et auteur en 2001 de « La Machine à punir. Pratiques et discours sécuritaires » et, en 2008, de « La France a peur. Une histoire sociale de l’insécurité ». Il explique que « corrélation n’est pas causalité, c’est la base de l’analyse scientifique; or là, ça peut monter ou baisser pour des raisons qui n’ont rien à voir avec la vidéosurveillance. D’autre part, les statistiques dites « de la délinquance » reflètent bien plus l’activité des forces de l’ordre et leurs priorités qu’un état réel de la criminalité dans le pays. Or, rien n’est plus fluctuant que ces priorités en fonction des injonctions politiques du moment ».

Continuons. En 2021, dans une étude réalisée pour l’ École des Officiers de Gendarmerie de Melun, le chercheur Guillaume Gormand explique que seul 1,13% des enquêtes ont bénéficié des caméras et que leur présence « n’empêche pas les délinquants de passer à l’acte ».

Le sociologue Tanguy Le Goff présente un beau paradoxe « Les études étrangères montrent que la vidéosurveillance, si elle est bien gérée, a tendance à faire augmenter le nombre d’atteintes aux personnes dans les statistiques policières. Les auteurs de ce type de faits ne cherchant pas à se cacher, nombre d’entre-eux résultant d’actes impulsifs, ces faits qui pouvaient passer inaperçus auparavant sont un peu mieux repérés. Si la vidéosurveillance n’a pas d’effet inhibiteur sur les atteintes aux personnes, leur baisse peut donc révéler en réalité l’inefficacité du dispositif ».

Eric Heilmann, maître de conférences à l’université Louis-Pasteur de Strasbourg et spécialiste du sujet, explique dans un article de Vice en grande partie consacré à Marcillac-Vallon : « Les caméras permettent de faire l’économie d’une réflexion (…) cela laisse penser que les élus font quelque chose pour les citoyens. Le seul impact des caméras est sur les électeurs et non sur les auteurs d’actes incivils, puisque dans la recherche cela fait un moment qu’on ne se pose plus la question de leur efficacité sur la délinquance (…) Il n’y a plus tant de chercheurs qui travaillent sur ce questions, on a déjà tout dit. On a montré maintes fois que l’impact était quasi-nul.

Donc, s’il reste des gens qui pensent que les caméras vont régler un quelconque problème, ce n’est plus de l’ordre du rationnel. C’est leur foi, que rien ne semble pouvoir démonter ». De plus Eric Heilmann et Marie-Noëlle Mornet, doctorante à l’université Robert-Schuman de Strasbourg, expliquent que les caméras créent aussi des déplacements non pas géographiques mais « fonctionnels » (le même délinquant commet un délit de nature différente). A Birmingham, sur la période étudiée, « là où une couverture vidéo existe, les auteurs de vols à l’arraché ou de cambriolages ont reporté leurs activités sur les vols dans les véhicules ».

Laurent Mucchielli a écrit « Vous êtes filmés ! Enquête sur le bluff de la vidéosurveillance » (Armand Colin, mars 2018). Il estime l’ensemble du dispositif à « au moins 150 000 caméras de rue, et plus de 1,5 million de caméras filmant les lieux «ouverts au public ».« L’état qui fait croire que la raréfaction des gendarmes dans certaines zones peut être compensée par les caméras. C’est le mythe fondateur de la vidéosurveillance, avec l’idée que ça va faire mieux que l’humain. Une caméra, ça ne prend pas de congés, ça ne suit pas de formation, ça n’est pas en grève. Avec, pour le maire de la commune concernée, une autre idée : si je n’en mets pas, les délinquants vont venir chez moi. Mais le déplacement de la délinquance, il se fait à l’intérieur même d’une ville, d’un parking à un autre, d’une tour à une autre. Ce n’est pas on prend la bagnole et on fait 40 km de plus pour aller dans une ville où il n’y a pas de caméras ».

Le Monde rappelle que Laurent Mucchielli a mené une enquête de terrain dans trois villes françaises : « Il n’y a pas d’impact dissuasif global, explique le chercheur, notamment parce que la vidéosurveillance s’est banalisée. » Dans son enquête, Laurent Mucchielli démontre que les caméras n’aident à élucider que 1 % à 3 % des infractions commises sur la voie publique. Mucchielli précise en ce sens que « l’installation d’un dispositif de vidéosurveillance présente alors l’avantage incomparable de constituer une action concrète et visible qui peut être présentée par l’élu comme une réponse volontariste (…) On peut se demander si le fait de s’emparer de la vidéosurveillance ne constitue pas pour les élus locaux une façon de s’affirmer dans un partenariat local ou ils sont confrontés à une impasse structurelle.

Les maires sont en effet promus officiellement (notamment par la loi du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance) comme les pivots de la politique locale de sécurité et de prévention (Le Goff, 2009). Mais dans la réalité des partenariats interinstitutionnels, leur autorité et leur pouvoir sont souvent plus que relatifs face aux figures institutionnelles dominantes que sont localement le Préfet et le Procureur de la République, face aussi aux représentants locaux de l’État (commissaire de police, commandant de gendarmerie) (…) Dès lors, le choix de la vidéosurveillance peut là encore apparaître comme une façon de s’affirmer et d’exister politiquement ». Ce chercheur raconte que lors de son étude de 2018 il a réalisé un sondage sur un échantillon de 800 personnes, et il a demandé aux habitants quelles étaient, selon eux, les actions à privilégier en matière de prévention et de sécurité. Ils étaient près de la moitié à juger qu’il faudrait en priorité « lutter contre l’échec scolaire », et plus de 40% à penser qu’il conviendrait de « développer la prévention auprès des jeunes ». Moins de 23% privilégiaient la vidéosurveillance, et autant voulaient recruter davantage de policiers.

Le sociologue et directeur de recherche au CNRS, spécialiste des organisations policières, Christian Mouhanna met en garde : « vous allez devenir un délinquant recherché malgré vous (…) la majorité des gens publient des images d’eux mêmes sur les réseaux sociaux et ne semblent pas se soucier de ce que cela peut engendrer.

On n’arrive pas à sensibiliser les gens sur cette problématique de l’image, avec une majorité de personnes qui pense qu’être filmé ou que leur image soit traitée, ne porte pas à conséquence. » Sur l’aspect du contrôle permanent qu’engendrent ces systèmes, le sociologue souligne que « ces caméras sont là parce qu’il y a un système de défiance, parce que les pouvoirs politiques ne font pas confiance aux citoyens et que les populations ne sont pas considérées comme des citoyens, mais comme des foules qui doivent être gérées »

Christophe Bétin, Emmanuel Martinais, Marie-Christine Renard mettent en avant que « les techniques ne sont jamais de simples adjuvants instrumentaux à des pratiques qu’elles viendraient seulement rationaliser, elles sont l’expression d’une culture et elles la modifient. Il ne fait pas de doute, cependant, que, comme la science, la technique semble s’autonomiser et devenir à elle-même sa propre fin, et les questions de l’utilité sociale et de la possibilité technique ont tendance à inverser leur ordre de préséance. On se demande d’abord si on peut le faire, et, dans l’euphorie du faire, la question de l’utilité disparaît; et, plus généralement, la question des déterminants sociaux et des effets sociaux de ce qui a été fait (Rochette, Marchandet, 1998,185) »

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Pour en savoir beaucoup plus

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