Il est question de la pollution électromagnétique
En France, les ondes électriques et électromagnétiques seraient la cause de perturbations dans des cheptels. Une enquête a été lancée par le ministère de l’Agriculture afin d’identifier de potentiels liens de cause à effet. Mais la manière dont elle est conduite suscite des critiques.
Jusqu’en 2018, Hubert Goupil élevait des bovins laitiers en Normandie ; sa compagne, elle, s’occupait d’une exploitation de poules pondeuses fermières. Cette année-là, le couple, acculé par les ennuis financiers, a dû se résoudre à la liquidation judiciaire. La cause ? Hubert Goupil pense l’avoir trouvée, pointant des «problèmes de courants de fuite, de courants vagabonds, de champ électromagnétique». En clair, les ondes émises par l’antenne de téléphonie mobile et la station d’épuration installées au-dessus d’une rivière souterraine qui passe sous la ferme.
«Sans qu’on n’en comprenne les causes, les poules pondaient beaucoup moins d’œufs, et ceux-ci ne grossissaient pas, rembobine Hubert Goupil, aujourd’hui retraité, et président de l’association Animaux sous tension (Anast). On commençait aussi à observer du cannibalisme entre les poules. Pour les bovins, c’était une catastrophe. Ils avaient des maladies pulmonaires, des diarrhées foudroyantes à répétition. Quelques jours après leur naissance, les veaux étaient retrouvés morts.» Au total, en cinq ans, le couple dit avoir perdu quasiment une centaine de veaux et une dizaine de bovins par an. Un poids très lourd, sur le plan financier mais aussi moral, car les agriculteurs considèrent ne pas être responsables de cette situation.
Jusqu’à présent, les liens entre installations électriques et conséquences néfastes sur les animaux d’élevage n’ont pas été formellement établis. C’est pour répondre à cette question encore en suspens que le ministère de l’Agriculture a lancé cet été une mission d’enquête, confiée au Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux (CGAAER). Du 1er juillet au 31 août, un questionnaire anonyme en ligne a été adressé aux éleveurs dont l’exploitation se trouve à moins de 2 kilomètres d’installations électriques, telles que des antennes téléphoniques, des lignes à haute tension ou très haute tension, des transformateurs électriques, des éoliennes ou encore des parcs photovoltaïques. L’objectif : identifier les potentielles corrélations entre la pollution électromagnétique due aux infrastructures électriques et les difficultés rencontrées dans les élevages.
«Réponses partielles»
Le cas d’Hubert Goupil et de sa compagne ne serait pas isolé. L’Anast, qui compte environ 150 membres (en 2020, le nombre d’exploitations consacrées à l’élevage s’élevait à 145 000 en France) cherche à faire entendre les voix de ces agriculteurs qui se disent victimes des ondes électromagnétiques. En mars, au Salon de l’agriculture à Paris, des membres de l’association ont alerté sur les dangers des ondes qui provoqueraient des difficultés dans leur cheptel, telle qu’une mortalité plus importante, des maladies plus fréquentes, une baisse de production, des soucis sanitaires.
En 2021 déjà, un rapport parlementaire sur «l’impact des champs électromagnétiques sur la santé des animaux d’élevage» avait été publié. Il concluait que la science n’apportait que des «réponses partielles» à ce «sujet complexe». S’il notait que «la contribution des champs électromagnétiques aux troubles de comportement des animaux n’[était] pas démontrée par la science», le problème n’était pas pour autant minimisé, soulignant la nécessité d’un «effort de prise en charge». Et le rapport de rappeler que le Groupe permanent pour la sécurité électrique en milieu agricole (GPSE) n’avait fait l’objet que de 72 demandes d’interventions depuis 2014, «ce qui laisserait penser que 99,9 % des éleveurs ne connaissent pas de difficultés». De son côté, l’Anast fait état de centaines de cas en France.
«Un premier pas»
L’enquête lancée début juillet s’inscrit donc dans une volonté de mieux saisir l’ampleur de la problématique, encore mal connue. En septembre 2022, le ministre de l’Agriculture, Marc Fesneau, avait promis à des éleveurs venus l’interpeller au Space, un salon d’agriculture à Rennes, la création d’un «point zéro». Ce qui correspond à la mise en place de moyens administratifs et techniques par lesquels les éleveurs victimes pourraient faire constater officiellement les dommages causés par les ondes électromagnétiques issues d’installations électriques.
Sylvain Delye, président de la FDSEA de l’Orne (1), voit dans l’initiative estivale «une très bonne chose, car on a beaucoup de remontées du terrain d’éleveurs touchés par cette problématique. Ils se sentent démunis car pendant longtemps personne ne s’est occupé d’eux. C’est un premier pas pour que les pouvoirs publics s’emparent du sujet». Hubert Goupil, lui, tempère : «L’enquête a été lancée en juillet et en août, au moment où les éleveurs font leurs moissons : ils n’ont pas le temps de remplir un formulaire. Et les chambres d’agriculture n’ont pas fait leur travail qui est d’informer les éleveurs. Aucun organisme délégué pour les prévenir n’a été constitué à ce jour.»
Du côté de la Confédération paysanne, troisième syndicat agricole, on regrette aussi que «très peu d’éleveurs» aient reçu l’enquête, et on réclame qu’elle soit prolongée au-delà de fin août et mieux diffusée. «En France, il y a de plus en plus de champs photovoltaïques, d’installations électriques, juge Stéphane Galais, secrétaire national du syndicat. Bientôt, la problématique sera encore plus aiguë. Cette enquête va permettre d’anticiper ce qu’il va se passer dans les années à venir.»
(1) La FDSEA est la déclinaison locale de la FNSEA, le syndicat professionnel majoritaire des agriculteurs en France.
https://www.liberation.fr/societe/la-pollution-electr