Tou(r)s sous surveillance_suite

Pour une critique active et engagée de la vidéo-surveillance à Tours

L’auteur – prononcer J point… comme point de vidéo-surveillance ! – a récemment proposé à L’Antivol de publier ses écrits sur le sujet. Nous n’avons pas hésité un seul instant, vu leurs qualités tant informatives que réflexives et leurs façons de marier éclairages généraux et enquête locale, en l’espèce tourangelle. Sans oublier quelques pointes d’humour qui ne gâchent rien. Voici donc le cinquième et dernier volet de la série, distribué au format papier en mai 2024. Et donc un grand merci à l’auteur et au plaisir d’accueillir de nouveau sur L’Antivol ses futures productions…

Alors qu’à Tours, la vidéo-surveillance ne fait presque plus débat et qu’être filmé plusieurs dizaines de fois par jour par les caméras municipales ne semble plus gêner grand monde, deux événements récents démontrent qu’en France la surveillance policière étend inexorablement son emprise.

La ville de Brest, qui jusqu’à présent n’était dotée d’aucune caméra municipale pour surveiller l’espace public (il en existait néanmoins devant certains bâtiments publics ou encore dans les transports en commun), s’est armée de 15 caméras équipées du logiciel Briefcam (voir TSS 4) ainsi que d’une quarantaine de caméras piétons pour appareiller la police. La municipalité PS (avec le soutien de l’opposition de droite) a consenti aux injonctions préfectorales et aux incitations financières de l’État (qui a payé les équipements : 900 000 €). De nouvelles caméras sont d’ores et déjà annoncées pour les prochaines années.

À Niort, un militant présent à Sainte-Soline, le 25/03/2023, a été déféré au tribunal pour un doigt d’honneur adressé à des gendarmes. Il a été confondu suite à l’utilisation d’un logiciel de reconnaissance faciale, et ce en toute illégalité. En effet, ce type de logiciel est encore interdit en France (du moins jusqu’aux J.O. de Paris). Le programme (dont le nom n’a pas été communiqué) a croisé la photo du manifestant avec le fichier TAJ (traitement d’antécédents judiciaires qui contient plus de 8 millions de photos). Le tribunal ne s’est aucunement questionné sur la validité des preuves, et ce au mépris du droit et des arguments des avocats.

Deux faits qui démontrent la prégnance des outils technologiques dans la surveillance des citoyen.nes.

Le cas brestois nous enseigne que la gauche ne vaut pas mieux que la droite concernant les mesures liberticides (ce que nous constatons à Tours mais aussi à Marseille, Lyon, Grenoble…). Le cas niortais démontre une fois de plus que la police et la justice travaillent de concert à la criminalisation des luttes quitte à se vautrer dans l’illégalité.

De manière générale, alors que le recours à la vidéo-surveillance est avancé comme un moyen de lutte contre la délinquance de voie publique (sans en nier l’existence, il est indéniable que la délinquance, notamment dans son traitement médiatique, sert une rhétorique politique réactionnaire et souvent raciste), cette dernière contribuant in fine de plus en plus à la criminalisation des militant.es des causes progressistes. Ainsi, la concomitance du développement des technologies liberticides et l’arrogance d’un président et de son gouvernement en pleine radicalisation (obnubilés par un vocabulaire guerrier et martial) singeant ostensiblement et avec avidité l’extrême droite devrait nous alerter sur le recul des libertés politiques, associatives et syndicales dans notre pays.

Et lorsque l’on apprend par le biais d’un rapport diligenté par la Défenseure des droits Claire Hédon que « la majorité des policiers et gendarmes considère que mener à bien leur mission est prioritaire sur le respect de la loi (51,8 % contre 45,2 %) », on se dit qu’il faut, plus que jamais, s’opposer et mettre à mal l’avenir vigipiraté qui nous est imposé. Un futur dont la seule perspective serait une société sous état d’urgence perpétuel.

La vidéo-surveillance : un imaginaire urbain délétère

De nombreux travaux critiques au croisement de la sociologie et de l’aménagement urbain (citons pêle-mêle Jean-Pierre Garnier, Henri Lefebvre ou encore Mike Davies) ont démontré que la ville moderne est façonnée par les idéologies capitaliste et néo-libérale. Ces idéologies se matérialisent dans l’espace urbain par des aménagements (bâtiments, infrastructures publiques, le fait de privilégier certains modes de déplacements, mobilier urbain, etc…), des techniques d’administration (réunions publiques, concertations, appels à vote pour des projets, etc…) ou encore l’incitation à certaines pratiques sociales (organisation d’événements, de fêtes, diffusion de musiques dans les rues…). En retour, la ville facilite la prégnance de ces idéologies. Ainsi, l’espace urbain est avant tout devenu un espace économique dominé par les catégories sociales les plus aisées.

Les choix politiques renforcent la domination du capitalisme urbain. Les municipalités vendent des espaces publics aux annonceurs publicitaires (omniprésence de JC Decaux dans les villes du monde entier) qui promeuvent les avatars du capitalisme les plus polluants (voitures, gadgets numériques, cosmétiques…). Elles relèguent les groupes sociaux les plus pauvres dans certains quartiers excentrés. Elles maillent le territoire urbain de moyens de surveillance de plus en plus performants.

Concernant la surveillance (avec au premier chef les caméras), ces installations induisent un certain rapport à la ville et crée un imaginaire urbain. La ville serait intrinsèquement dangereuse et mériterait d’être « protégée ».

Cet imaginaire se développe à travers la publicité vantant la ville du futur, les articles de la presse bourgeoise appelant de ses vœux à l’avènement de la ville connectée et intelligente ou encore les reportages télévisés louant les villes ayant recours à des technologies « disruptives » (puçage des poubelles, gestion en temps réel des flux routiers, etc.).

L’idéologie technophile urbaine est également transmise dans le milieu scolaire par le biais de manuels évoquant dans la plupart des cas un futur urbain et social où les technologies seront l’alpha et l’omega (voir ci-dessous). Ce futur est présenté comme étant inéluctable et désirable (la ville soumise au réchauffement climatique et à la délinquance sera sauvée par des technologies durables, elle sera résiliente et inclusive, sans que l’on sache vraiment ce que tous ces termes creux recouvrent). Normalisation et banalisation qui n’apportent aucune dimension critique (ou alors seulement effleurée et jamais radicale). La vidéo-surveillance apparaît donc comme un élément de plus dans ce fourre-tout techno-solutionniste qui ne résout rien des problèmes engendrés par la ville (élévation des températures, augmentation sans fin des loyers, mal-logement, pollutions dues aux transports ou aux industries, difficultés d’accès à la ville pour les personnes handicapées, etc.).

Ce recours aux technologies apparaît donc en définitive comme une solution de facilité et permet à un système économique mortifère de continuer à prospérer. En effet, il est plus simple d’installer des caméras que de résorber la pauvreté endémique engendrée par le capitalisme.

Les éditions Retz présentent dans le manuel Réussir en grammaire CM (2019) une certaine idée de la ville du futur. Ou comment normaliser la surveillance tout en travaillant la conjugaison !

La vidéo-surveillance: une domination de l’espace urbain

À Tours comme dans bien d’autres villes, on a commencé petit. Quelques caméras par-ci par-là (avec une prédilection pour les quartiers populaires), juste pour faire comme les autres (notamment Orléans qui a servi de boussole techno-sécuritaire) ou pour répondre aux inquiétudes de la bourgeoisie observant le monde par le filtre des médias dominants (rappelons-nous que, déjà en 1976, Roger Gicquel ouvrait le JT de TF1 par un angoissant et performatif « La France a peur »).

Les premières caméras tourangelles ont été installées en 2010 durant le troisième mandat (2008-2014) de Jean Germain (il faut préciser qu’il n’y avait aucune trace de ce projet dans son programme). Cette année-là, ce sont des dizaines de caméras qui sont implantées quartier du Sanitas et quartier de l’Europe. En 2012, on en comptait déjà une cinquantaine (12 de plus en bord de Loire). Puis ce furent 3 nouvelles caméras en 2014 (aux Fontaines), 10 de plus en 2015 et 20 en 2016. En 2017, c’est la guinguette qui est surveillée alors que le 12 décembre le nouveau Centre de supervision urbain (CSU) est inauguré dans les locaux de la Police municipale (l’ancien se trouvait à la mairie). En 2018, ce furent 23 caméras en plus, et ainsi de suite…

Ces installations ont toujours été imposées et n’ont jamais fait l’objet de débats avec les habitant.es de la ville (alors que dans un premier temps les résistances populaires étaient fortes, notamment au Sanitas). De plus, elles ont, le plus souvent, été présentées positivement par l’ensemble de la presse locale (la Nouvelle République en tête, typique de la PQR souvent inféodée aux baronnies municipales). Les quelques questionnements qui ont émergé dans la presse l’ont souvent été avec désinvolture et sans aucune contextualisation politique. En témoigne cet article d’info-tours.fr dans lequel on loue le fait que « les agents en poste [au CSU (…)] peuvent zoomer jusqu’à 300m », avant de rajouter un cynique (ou prophétique) : « Utile en cas de manif… ».

Par électoralisme, idéologie rance, technophilie ou encore pour ne pas froisser les huiles de la préfecture, les municipalités ne se lassent pas de dilapider l’argent public (il faut compter en moyenne 15 000€ pour une caméra dôme, installation comprise et 140 000€ /an pour rémunérer un.e agent.e du CSU). Et lorsque l’on pointe (y compris des organismes comme la Cour des comptes) le peu d’efficacité des caméras par rapport à leur prix, il est souvent rétorqué par les décideur.euses que c’est parce qu’il n’y en a pas assez et que tels quartiers ou carrefours ne sont pas encore surveillés. Ce raisonnement induit que la vidéo-surveillance ne sera efficace que lorsque chaque citoyen.ne sera surveillé.e tout le temps et en tout endroit de la ville. Elle ne pourra être pleinement opérante que si elle est totale, c’est-à-dire que si elle couvre l’intégralité d’une ville de la plus grande artère jusqu’au moindre petit angle mort. On entrevoit bien ici l’idéologie qui guide les politiques sécuritaires municipales et étatiques. Il faudrait renoncer à son anonymat et à ses libertés pour les troquer contre une pseudo-tranquillité publique.

La future campagne des municipales sera l’occasion de mettre M. Denis devant ses contradictions et ses mensonges. Même si ce dernier n’est pas encore officiellement candidat à sa réélection, la tenue de réunions publiques, de visites dans les quartiers ou de meetings sera l’occasion, devant témoins, de lui demander de s’expliquer. Rappelons que ce dernier s’était engagé à ne pas faire installer de nouvelles caméras municipales à Tours. Alors que la fin de son mandat approche, les preuves de son imposture sont visibles aux quatre coins de la ville. Et ce n’est pas l’installation d’une nouvelle caméra (début 2024) à l’angle des rues Jules Simon et des Ursulines ou les deux caméras installées le 31 mai avenue André Malraux (accès sud du pont Mirabeau) qui nous démentiront.

Police et surveillance

Une légende affirmerait que les caméras municipales pourraient nous protéger des agissements délictueux de la police. Ce fantasme, auquel uniquement des fans de Raphaël Glucksmann peuvent adhérer, oblitère que la police détient les moyens (et toute la chaîne) de production des images. Nombreux sont les exemples de consultations illégales d’images par les policiers afin de pouvoir préparer un bon gros mensonge et de se couvrir entre collègues (les collègues des CSU orientent aussi les caméras afin qu’elles ne filment pas les bavures. De même, alors que les caméras piétons sont présentées par le ministère de l’Intérieur comme un outil pour renforcer la confiance entre la police et la population, il est important de rappeler qu’elles sont actionnées uniquement selon le bon vouloir des fonctionnaires. On imagine donc mal un.e agent.e allumer sa caméra avant de rouer de coups un.e manifestant.e. Néanmoins le copwatching, notamment en manifestation, a pu être utile (même s’il n’a jamais empêché les violences policières) pour prouver la violence de la police. Toutefois, ces images se sont heurtées à un plafond de verre politique et médiatique : la criminalisation des violenté.es. Macron ne veut pas que nous parlions de violences policières et « récuse» ce terme, les journalistes de BFMTV sont sommé.es par leur hiérarchie de ne pas utiliser l’expression « violences policières », etc. Et il apparaît que malgré les preuves visuelles indéniables, la justice et la hiérarchie policière sont très clémentes avec les «brebis galeuses».

Cependant, il apparaît que parfois les caméras dérangent…

Devinette !

Qui a dit : « Maintenant il y a des caméras partout on ne peut plus jouer » ?

A – Les enfants du quartier Beaujardin, fliqués par le CSU chaque fois qu’ils vont faire du tourniquet.

B – Des amateurs de rodéo urbain voulant reproduire IRL leurs scènes préférées de Fast and Furious 4.

C – Des footeux qui ne pourront plus faire des mains en loucedé sans interventions de la BAC pour les sortir, après un placage ventral, du terrain.

D – Un collègue baqueux de Yann T. (policier qui a éborgné Adnane Nassih alors que ce dernier rentrait tranquillement chez lui après une journée de travail en février 2020).

Indice : par « jouer », il faut comprendre tirer au LBD sur tout ce qui bouge (de préférence dans les quartiers populaires et les manifs).

Réponse: 

https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts

Que faire ?

Voici, pour finir, quelques actions plus ou moins légales pour contrer la surveillance policière ou du moins la freiner :

Contester l’installation des caméras auprès de la CNIL et du tribunal administratif d’Orléans.

Interpeller le maire en pointant le non respect de sa promesse de campagne.

➢ Envoyer de fausses demandes d’accès aux images enregistrées à donneespersonnelles@ville-tours.fr (ou spammer l’adresse mail). Voir TSS4.

Pirater les caméras et le CSU.

Masquer les caméras (sac, peinture, cirage…).

➢ Casser les caméras ou sectionner les câbles situés dans la trappe au pied des mâts. Pour une première approche d’une contestation légale, lire

https://technopolice.fr/guide-videosurveillance.pdf

J.

Pour en savoir plus :

https://www.lantivol.com/2024/09/tours-sous-surveil

Références sélectives

  1. Bibliographie

Anonyme (2023), Pas vue pas prise, auto-édition, à télécharger sur https://we.riseup.net/assets/881357/Texte-v1.pdf
Codaccioni Vanessa (2021),
La société de vigilance, Textuel.
Fœssel Mickaël (2010)
État de vigilance, Le Bord de l’eau.
Graham Stephen(2012),
Villes sous contrôle, La Découverte.
Jusquiame Thomas (2024),
Circulez. La ville sous surveillance, Marchialy.
Lemaire Elodie (2019),
L’œil sécuritaire, La Découverte.
Ligue des droits de l’Homme – LDH (2009),
Contre la liberté surveillée, à télécharger sur https://www.ldh-france.org/contre-la-liberte-surveillee/
Manière de voir (N°133 – 02/03 2014),
Souriez vous êtes filmés, Le Monde Diplomatique.
Mucchielli Laurent (2018) ,
Vous êtes filmés !, Armand Colin.
Richard Claire (2021),
Technopolice, défaire le rêve sécuritaire de la safe city, 369 éditions.
Rigouste M. (2022),
La police du futur, 10/18.
La Revue Dessinée (n° 44 – été 2024),
Paris 2024, Tout est sous contrôle.

  1. Webographie

https://tours.sous-surveillance.net/
https://technopolice.fr/
https://www.laquadrature.net/
https://www.cnil.fr/fr/videoprotection-quelles-sont-les-dispositions-applicables
https://www.notrace.how/resources/fr/
Radio « Racine de Moins Un », émission
Un regard critique sur la Smart city :
https://archive.org/details/rmu-092-jarrige-smart-city
« Arrêt sur images » émission du 7 juin 2024 – accès payant :
https://www.arretsurimages.net/emissions/arret-sur-images/surveillance-les-jo-servent-dexperimentation-a-des-systemes-securitaires

  1. Documentaires, reportages

Lamour Olivier (2021), Fliquez-vous les uns les autres, France Tv.
Louvet Sylvain (2020),
Tous surveillés, 7 milliards de suspects, Arte Tv.
Etcheto Antoine, Faubert Serge (2021),
Vidéosurveillance intelligente, une menace pour nos libertés ?, Blast.