Un passage obligé ?
https://etopia.be/blog/2023/12/12/relance-miniere-en-eur
Extraits
Les mines, une réalité du passé ? Loin de là. Les mines pourraient refaire partie du paysage demain, si l’on en croit la proposition de loi de la Commission européenne sur les matières premières critiques. Extraire les métaux dans le sous-sol européen permettrait de diminuer la dépendance de l’UE aux pays producteurs étrangers, dans un contexte géopolitique incertain, afin de réaliser notre transition écologique et numérique. Derrière les textes, quels sont les objectifs de l’UE ? Que signifient-ils sur le terrain ? Quels métaux pour combler quels besoins ?
Pour réaliser sa transition écologique et numérique, l’Europe a besoin d’une quantité importante de métaux. Ces ressources se retrouvent dans la plupart des technologies qui soutiennent la transition écologique, telle que pensée par l’UE, et sont aussi indispensables au secteur de l’aéronautique et de la défense. Pensons aux batteries des véhicules électriques et des appareils électroniques composés de nickel, lithium, cobalt, manganèse et aluminium, au déploiement du numérique fortement dépendant du cuivre pour les réseaux d’électricité, du germanium pour la fibre optique ou encore du gallium pour les semis-conducteurs et les cellules photovoltaïques. Pensons aussi au néodyme dans les éoliennes offshore, au silicium et à l’argent dans les panneaux solaires. Les prévisions de croissance des besoins de l’UE sont élevées : 18 fois plus de lithium et 5 fois plus de cobalt d’ici 2030, 10 fois plus de terres rares d’ici 2050.
Pour la plupart de ces métaux, l’Union européenne dépend fortement de pays étrangers. « L’UE dépend de 75 à 100 % pour la plupart des métaux » peut-on lire dans la communication sur les matières premières critiques publiée en 2020 par la Commission. 68 % du cobalt européen provient par exemple de la République Démocratique du Congo (RD Congo) et 98 % des terres rares de la Chine. Depuis la pandémie du Covid 19 et la guerre menée par la Russie contre l’Ukraine, l’Union européenne a remis au centre de ses stratégies politiques la souveraineté, l’autonomie et la résilience ; les chaînes d’approvisionnement mondiales ayant montré toute leur vulnérabilité (pénurie de masques, de médicaments, etc.). « Sans un approvisionnement sûr en matières premières critiques, l’Union ne sera pas en mesure d’atteindre son objectif d’un avenir écologique et numérique ».
C’est dans ce contexte que la proposition de loi sur les matières premières critiques a été publiée en mars 2023. Il s’agit d’un cadre réglementaire visant à garantir un approvisionnement sûr et durable en matières premières critiques. Il prolonge les orientations stratégiques de l’Initiative Matières Premières (2008/2011) et leur donne une portée législative. Le règlement se fonde ainsi sur trois axes : la diversification des sources d’approvisionnement à travers des partenariats stratégiques, le recyclage et la relance minière en Europe. Élément nouveau, la Commission fixe des objectifs chiffrés : d’ici 2030, 10 % des matières premières critiques consommées par l’UE annuellement devraient provenir du sous-sol européen, 40 % au moins devraient être transformées en Europe et 15 % devraient provenir du recyclage. La Commission demande à tous les États Membres d’identifier les potentiels gisements stratégiques sur leur territoire. Pour faciliter les démarches, la Commission promet d’accélérer les procédures, d’apporter des soutiens financiers tout en garantissant la durabilité des projets.
La mine de demain : durable et sans impacts ?
Avec la transition énergétique, l’industrie minière voit se profiler un nouvel âge d’or. Charriant un imaginaire plutôt sombre (pollutions, transformation du paysage, souffrances physiques, violations des droits humains, etc.), le secteur a besoin d’améliorer son image pour convaincre largement. Tout un nouveau discours est ainsi apparu depuis plusieurs années accolant au mot « mine » les qualificatifs « vert », « durable » ou « responsable ». Ainsi, l’ancien dirigeant d’Anglo American, société minière britannique, de dire « (…) nous nous voyons plutôt comme une société qui offre les minéraux nécessaires à la résolution des problèmes à long terme ». Même discours du côté du CEO de The Metals Company, entreprise tournée vers l’exploitation des grands fonds marins « Nous ne nous voyons pas comme une firme du secteur minier. Nous nous considérons plutôt comme une firme du secteur de la transition ». De quoi faire oublier les impacts bien réels d’une exploitation minière.
Le secteur a tout intérêt à se présenter de la sorte, pour attirer notamment les énormes investissements dont il a besoin qui pourraient passer, entre autres, par la taxonomie verte européenne. Il s’agit de la stratégie de la Commission européenne pour réorienter les flux financiers européens vers des activités durables. Les activités minières, selon certains critères, pourraient rentrer dans la taxonomie en tant qu’activité transitoire, entendues comme activités pour lesquelles il n’existe pas d’alternatives bas carbone actuellement. Le Commissaire au marché intérieur Thierry Breton répondait ainsi en juillet 2022 à une question parlementaire : « la Commission va considérer l’inclusion des activités minières dans l’un des actes délégués à venir de la régulation taxonomique ». Par ailleurs, affirmait-il, plusieurs autres fonds permettent déjà de financer des projets liés aux matières premières critiques. En effet, l’Union européenne supporte déjà des projets miniers à travers l’Europe.
Dans la même logique, le secteur assure disposer et mettre en œuvre les « meilleures pratiques » ou encore les « meilleures techniques disponibles ». L’innovation technique et technologique de l’industrie minière garantirait une mine bien éloignée des images de mines à ciel ouvert dévastatrices pour l’environnement. L’extraction est présentée comme pouvant être précise, quasi chirurgicale, avec un impact limité sur l’espace proche. « On fait une petite incision discrète dans le paysage et tout le reste se passe en sous-terrain » expliquait le Professeur de l’ULiège Eric Pirard dans un article publié dans le journal Le Soir le 4 avril 2023. Réflexion à laquelle il ajoutait que ce type de techniques a évidemment un coût plus élevé.
À quoi ressembleraient les futures mines européennes ? Un consensus scientifique existe autour du fait que les teneurs en minerais dans la roche ne cessent de décroître. Les gisements les plus riches et faciles d’accès ont logiquement été exploités en premier lieu. Et il est devenu rentable aujourd’hui d’exploiter des gisements aux concentrations en substances minérales moins riches qu’avant. L’Agence Internationale de l’Énergie l’inscrit comme source de préoccupation dans un rapport de 2021 : « Ces dernières années, la qualité des minerais a continué à baisser pour toute une série de produits de base. Par exemple, la teneur moyenne du minerai de cuivre au Chili a diminué de 30 % au cours des 15 dernières années ». Comme les teneurs diminuent, il faut creuser toujours plus profondément, déplacer et traiter plus de roches (et donc produire plus de déchets) pour récupérer la quantité souhaitée de substances de valeur. Ces activités signifient par conséquent la mobilisation de quantités d’énergie plus importantes, et donc d’émissions de gaz à effet de serre (GES), mais aussi d’eau ou de substances chimiques pour les traitements des minerais. Selon le chercheur français Olivier Vidal, « Jusqu’à présent, ce coût a été compensé par l’amélioration technologique. Cependant, cette compensation ne peut pas être infinie car il existe un « point critique », au-delà duquel le gain énergétique (permis par l’amélioration technologique) ne compense plus la diminution des teneurs dans les gisements ». Cette évolution géologique, ainsi que l’augmentation de la performance des équipements industriels, va aller de pair avec l’exploitation de surfaces toujours plus vastes, selon la Banque Mondiale. Augmenter la surface exploitée revient dès lors à augmenter la quantité de déchets et les pollutions qui en sont issues, ainsi que la concurrence autour de l’allocation des terres, comme l’explique entre autres choses l’organisation française SystExt dans son rapport « Controverses minières » publié en février 2023. Compte tenu de ces tendances prouvées, l’extraction « chirurgicale » qu’annonce Eric Pirard entrouvre un imaginaire éloigné des réalités, limité à des contextes bien spécifiques.
La sphère représente la quantité de cuivre produite par la mine de Palabora en Afrique du Sud jusqu’à 2007, le reste n’étant que stériles. La mine atteint une profondeur de 300m environ.
Le travail réalisé par SystExt interroge la véracité des allégations des sociétés minières concernant leurs pratiques vertueuses. Le rapport précité révèle plusieurs résultats. Déjà, les prétendues bonnes et meilleures pratiques ne signifient pas la prise en charge des impacts humains, sociaux et environnementaux. La Responsible Mining Foundation, qui évalue les pratiques et politiques environnementales, sociales et de gouvernance (ESG) de 40 compagnies minières exploitant 250 sites miniers à travers le monde, rapporte ainsi que « Quelque 94 % des 250 sites miniers évalués obtiennent une moyenne de 20 % sur les 15 questions ESG évaluées ». Et des entreprises européennes comme Boliden (Suède) ou KGHM (Pologne) se trouvent en queue de peloton. Les prétendues meilleures pratiques analysées par SystExt révèlent des lacunes majeures : « nombre d’entre elles s’avèrent élémentaires et certaines peuvent même être à l’origine d’impacts graves, voire irréversibles ». Il en va ainsi de plusieurs techniques d’extraction présentées comme modernes (comme le block caving, ou la lixiviation en tas) mais qui sont encore plus prédatrices pour l’environnement que les techniques passées. SystExt explique que le secteur minier est un secteur qui, depuis des années, n’investit pratiquement pas dans la recherche et l’innovation. Les techniques d’extraction actuelles n’ont pratiquement pas évolué depuis un siècle. Quand des innovations sont présentées, elles portent généralement sur des dimensions secondaires de l’exploitation en termes d’impact (transport, numérique) et non pas sur les étapes les plus lourdes comme le broyage de la roche par exemple, principale source de consommation énergétique.
Selon la plupart des chercheurs étudiés dans le rapport de SystExt, « l’inefficacité de leur mise en œuvre (des bonnes et meilleures pratiques) s’explique par la priorisation des motifs économiques et financiers ». Dans un système économique capitaliste qui vise la maximisation des profits au coût le plus bas, comment imaginer que les entreprises minières se montrent plus vertueuses que par le passé, là où les normes environnementales ont toujours été perçues comme des freins occasionnant des pertes de temps et donc d’argent.
Troisième constat posé par SystExt, sur base d’une documentation fournie, « la mine « durable » ou « responsable » n’existe pas. La mine repose intrinsèquement sur un modèle insoutenable. Et SystExt de rappeler les 5 éléments qui soutiennent cette affirmation : Premièrement, « Le caractère fini des ressources minières ». Il s’agit en effet de ressources qui se sont constituées sur des échelles de temps millénaires. La transition écologique version Union européenne scelle donc de nouvelles dépendances vis-à-vis de ressources finies. Les promesses d’économie circulaire et de recyclage ne permettront pas de contrer les pénuries à venir. Deuxièmement, « les impacts majeurs et pérennes de l’industrie minière ». Les exploitations minières provoquent des contaminations de l’air, de l’eau et des sols à travers le rejet de métaux et métalloïdes. Elles produisent également une grande quantité de déchets toxiques dont les impacts peuvent perdurer sur des centaines voire des milliers d’années. La mise en sécurité des sites miniers et leur réhabilitation, une fois l’exploitation terminée, fait très souvent défaut. Des dizaines de milliers de sites sont ainsi laissés à l’abandon. Troisièmement, « la diminution inéluctable des teneurs et la raréfaction des gisements “facilement” exploitables à l’origine de l’augmentation exponentielle des impacts », nous l’avons déjà expliqué ; Quatrième point, « l’accélération de la demande métallique » déjà chiffrée plus haut ; Enfin dernier point, « la non circularité du cycle de vie des matières premières minérales (depuis l’extraction jusqu’à la gestion des déchets) ».
Les projets de transition énergétique fondés sur des technologies dites propres ou vertes actuellement portés par nos décideur·euse·s politiques, tendent à masquer ou à minimiser la réalité des impacts de l’industrie minière. La focalisation excessive sur la diminution des émissions de gaz à effet de serre pour endiguer le dérèglement climatique présente l’intensification de l’extraction minière comme un moindre mal. Pourtant, ses conséquences néfastes sont multiples, notamment sur la biodiversité. « L’exploitation minière menace actuellement un nombre similaire d’espèces que le changement climatique (11 314 espèces contre 12 260 espèces, respectivement). Étant donné que seules 1 179 espèces (5 %) sont menacées à la fois par l’exploitation minière et par le changement climatique (6), la réduction des dommages causés par l’exploitation minière et par le changement climatique constituerait une grande victoire pour la conservation. Cependant, nous sommes loin de cette trajectoire. Si nous partons du principe que les mines futures causeront des pertes de biodiversité similaires à celles des mines actuelles, les menaces augmenteront probablement à mesure que la demande augmentera de 500 à 900 % d’ici 2050 pour certains matériaux de transition énergétique (MTE), tels que le cobalt et le lithium » explique la chercheuse australienne Laura Sonter.
Il est aujourd’hui essentiel de comprendre les interactions entre les crises climatique, de l’eau, de la biodiversité, de l’air, etc. et d’enclencher un changement systémique de nos sociétés. La dégradation généralisée des milieux de vie met en danger la vie non humaine et la vie humaine. L’extraction minière, et ses impacts indissociables, entre directement en tension avec des éléments indispensables (air, eau, sols, etc.) à la vie humaine et non-humaine déjà sous tension aujourd’hui. Détruire davantage la biodiversité, pourtant déjà considérablement malmenée, par l’extraction minière signifie la perte d’alliés essentiels dans la lutte contre le dérèglement climatique.
Accélération des procédures et protection de l’environnement ?
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