Pourquoi une partie de la gauche s’oppose à la 5G

Protection de la santé, lutte contre le consumérisme…

Certains maires écologistes, comme à Grenoble, à Tours ou à Bordeaux, veulent mettre en place des moratoires et lancer des débats publics sur le sujet.

C’est pour l’instant une grogne de basse intensité mais qui pourrait devenir un sujet majeur de la rentrée politique. De plus en plus de Français refusent le déploiement de la 5G, soit la cinquième génération des standards pour la téléphonie mobile. Un « ras-le-bol » pouvant prendre diverses formes : mobilisations citoyennes, moratoires, débats, mais aussi destruction d’antennes relais.

Selon ses promoteurs, la 5G est une technologie permettant d’augmenter les performances des appareils connectés, d’obtenir un meilleur débit, et, partant, de favoriser le développement de nouveaux services, notamment pour les entreprises.

Ses contempteurs, eux, sont très divers. Certains groupes marginaux, versés dans le complotisme, estiment que les ondes participeraient à la propagation de l’épidémie du coronavirus. Un discours fantaisiste qui peut masquer celui d’une autre partie des opposants, plus importante, qui voit dans le déploiement de la 5G une technologie inutile, le symbole d’une société « technicienne » de contrôle social (via les objets connectés) et consumériste, inféodée aux grandes firmes, avec des conséquences potentiellement graves pour l’environnement ou la santé (notamment en ce qui concerne les effets des ondes électromagnétiques émises par les antennes-relais).

C’est notamment pour ces deux dernières raisons que la convention citoyenne pour le climat avait souhaité un moratoire pour pouvoir déterminer les risques de cette nouvelle technologie. Une demande écartée par Emmanuel Macron, qui maintient donc le calendrier prévu initialement pour une première version fin 2020-début 2021.

Technologie « énergivore »

Ce combat, longtemps porté par des associations de défense de l’environnement ou des groupes radicaux, a été endossé depuis plusieurs semaines par Europe écologie-Les Verts (EELV) mais aussi par une partie de la gauche, à l’image du député La France insoumise (LFI) de la Somme, François Ruffin. Certains maires EELV, comme à Grenoble, à Tours ou à Bordeaux, assument de mettre en place localement des moratoires et de lancer des débats publics sur le sujet.

Le parti écologiste estime en effet que cette technologie est « énergivore ». « La 5G sera l’occasion d’une grosse inflation de la consommation électrique et de la collecte des données personnelles des usagers, via les nombreux gadgets connectés qui seront proposés à l’achat. Une fois la 5G déployée en France, ce n’est pas moins de 2 % d’augmentation de la consommation électrique à l’échelle nationale qui est évoquée », explique EELV dans une motion votée à la quasi-unanimité des membres de son conseil fédéral. Les écologistes veulent attendre aussi les conclusions de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) prévues pour la fin de l’année 2021.

« Il y a une fuite en avant permanente. La 5G améliore les performances, mais explose tout en termes de consommation. Il y a aussi une obsolescence programmée de nos biens. On peut douter de l’amélioration de notre qualité de vie avec des frigos et des grille-pain connectés », estime Eric Piolle, le maire de Grenoble. Sa petite phrase lors de son « Grand Jury RTL-LCI-Le Figaro », début juillet, résume son état d’esprit : « Grosso modo, la 5G, c’est pour permettre de regarder des films pornos en HD, même quand vous êtes dans votre ascenseur. »

  1. Piolle, personnalité montante des écologistes – qui ne cache plus ses ambitions présidentielles –, est un ingénieur qui a longtemps travaillé pour Hewlett-Packard. Il se sert de cette casquette pour dire qu’il « n’est pas technophobe » ni « antiprogrès ». Surtout, il affirme que cette expérience lui donne l’expertise pour affirmer que le développement du numérique « est l’un des éléments centraux de l’augmentation des émissions de gaz à effet de serre ». Il évoque également la fracture numérique à résorber, le fait de travailler en priorité les zones non couvertes plutôt que de passer au pas de course à la 5G.

François Thiollet, chargé du projet d’EELV, dénonce quant à lui le « problème démocratique » que pose le développement de la 5G. « C’est une décision prise dans les cabinets ministériels, il n’y a pas de débats avec la population », assure-t-il. Il est persuadé qu’une remise en question du modèle de consommation numérique est possible : « On commence à penser autrement sur l’alimentation, les transports. Cela semblait impensable il y a quelques années. Il faut maintenant appliquer la même chose au numérique », continue M. Thiollet.

Lutte anti-Linky

François Ruffin, lui, espère bien que « la bataille, démocratique, de la 5G [ait] lieu ». C’est, en tout cas, ce que le parlementaire explique longuement dans le numéro estival de son journal, Fakir. Le titre barrant sa « une » est explicite : « 5G, les raisons de la colère. » « La 5G et l’iPhone 11. Voilà pour eux, pour Bruxelles, pour Macron, voilà pour eux le progrès… C’est le symptôme d’un vide. D’un vide politique. D’un vide d’espérance. D’une classe dirigeante sans horizon », dénonce celui qui se définit comme « député reporter ». Une « course vers la folie », selon lui.

Si l’« insoumis » partage les critiques de ses camarades écologistes, il insiste sur la nécessaire quête de sens, une « nouvelle espérance » qui aille « au-delà de l’homme consommateur ». « La 5G, c’est un choix de civilisation : la continuation ou une bifurcation, écrit encore M. Ruffin. La “compétitivité additionnelle” comme Graal ou “autre chose”. Il nous faut maintenant plus qu’un “moratoire”. Une victoire. Un “stop”. » Une analyse déjà développée dans son livre Il est où, le bonheur (Les liens qui libèrent, 2019, 192 p., 14 €).

« La société de la 5G efface l’humain, au nom de l’efficacité, de la rationalité, de la rentabilité »

Rien d’étonnant à voir ces convergences entre une partie de la gauche et des écologistes. Tous font de la 5G le symbole d’un modèle économique et social qui ne fonctionne plus. « La société de la 5G efface l’humain, au nom de l’efficacité, de la rationalité, de la rentabilité. Cela est notamment visible dans le monde du travail, où les humains peuvent être surveillés en permanence et transformés en simples exécutants. Toute cette logique crée non seulement beaucoup de souffrance au travail, mais aussi une société déshumanisée », avance Nicolas Bérard, auteur de 5G mon amour. Enquête sur la face cachée des réseaux mobiles (Le Passager clandestin, 224 p., 14 €).

Journaliste engagé, il a écrit une précédente enquête, chez le même éditeur, sur l’opposition à l’installation des compteurs d’électricité connectés Linky (Sexy, Linky ?, 2018, 195 p., 5 €). Pour lui, il y a un rapprochement à faire entre ces différents combats. « Beaucoup de collectifs anti-Linky ont étendu leur lutte à la 5G. A l’origine, les motivations de ces militants sont variées : santé, démocratie, libertés individuelles, déshumanisation… mais à force de se réunir et d’échanger autour de ces problématiques, une vision plus générale s’est développée sur le monde de demain tel qu’il a été préparé par la technostructure. »

Aliénation

Au-delà de la simple opposition à de nouvelles technologies, beaucoup de figures – il en va ainsi de nombreux écologistes comme le nouveau maire de Bordeaux Pierre Hurmic, José Bové ou le philosophe Dominique Bourg – sont aussi influencées par les travaux de Jacques Ellul et Bernard Charbonneau, deux précurseurs de l’écologie politique, dont les réflexions sur la société technicienne sont très souvent citées.

Selon cette pensée, la principale menace des sociétés industrialisées est la technique elle-même. Véritable aliénation, elle crée une organisation sociale déployant de nouvelles formes de contrôle social et d’oppression. C’est donc un combat global civilisationnel qu’il faut mener, incluant tout un modèle de développement.

Pour les militants plus radicaux, qui se définissent comme « anti-industriels » et se réclament des « luddites » (ces ouvriers anglais du textile qui, au XIXe siècle, détruisaient les métiers à tisser, accusés de provoquer le chômage et la paupérisation), ces prises de position de la gauche et des écolos s’apparentent à du braconnage.

Dans ce milieu, le collectif Pièces et main d’œuvre est incontournable. Basé dans la région de Grenoble, né au début des années 2000, il veut combattre le « monde-machine », et le « techno-totalitarisme ». Ces activistes n’ont pas de mots assez durs pour qualifier ceux qu’ils définissent comme des « politiciens arrivistes », appartenant à de « petits appareils récupérateurs » qui « s’approprient les thèmes de la critique radicale » pour « les détourner au profit de leurs carrières personnelles et de leur projet technocratique collectif ». L’une de leur cible privilégiée est le maire de Grenoble, Eric Piolle, mais ils ne retiennent pas non plus leurs coups contre François Ruffin. Ils résument : « L’histoire du mouvement écologiste – c’est-à-dire anti-industriel – est criblée de ces pillages, déjà dénoncés en leur temps par Jacques Ellul et Bernard Charbonneau. »

Tout comme Nicolas Bérard, Pièces et main d’œuvre fait le lien avec l’opposition aux compteurs Linky, qui a été une sorte de combat fondateur. « Comme à chaque étape, une minorité refuse l’injonction à “vivre avec son temps” ainsi que la déshumanisation et la dépossession par l’automatisation. Cette minorité – méprisée par la technocratie et ses porte-parole médiatiques – s’est fait entendre plus que d’ordinaire à l’occasion du déploiement à marche forcée des compteurs-capteurs Linky. Nous avons animé des dizaines de réunions publiques à travers la France, réunissant [des assistances] de plus de 100 personnes (avec des pointes à 300), même dans des villages, où s’exprimait ce refus du premier objet connecté imposé. » La machine et son monde, voilà l’ennemi, selon ces activistes.

 

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