L’impasse
Depuis des années, le lobby nucléaire essaye d’instrumentaliser la crise climatique pour se présenter comme une solution susceptible de «sauver la planète». Alors qu’on ne «sauvera» rien ni personne avec une énergie qui cause des catastrophes et produit des déchets dangereux pendant des millénaires. Il s’agit d’une totale illusion qui fera perdre de l’argent, du temps… et de l’énergie !
Il y a vingt ans…
Au début des années 2000, Mme Lauvergeon, présidente du groupe nucléaire Areva, proclamait dans tous les médias qu’il fallait construire des centaines de réacteurs. Le nucléaire allait « sauver le climat », en émettant beaucoup moins de Co2 que le pétrole, le gaz ou le charbon. Honnie depuis la catastrophe de Tchernobyl en 1986, cette énergie se voyait enfin réhabilitée et allait réaliser de véritables miracles.
Le prétendu « grand retour du nucléaire » ne s’est pas produit. Aucune entreprise susceptible de construire de nouvelles centrales ne s’est lancée…
Non à cause des risques d’accidents ou de l’insoluble question des déchets radioactifs, mais parce que les centrales étaient devenues trop difficiles à construire et que le coût de leur production électrique était estimé totalement ruineux.
Areva a bradé un EPR en 2003 à la Finlande, à 3 milliards, et deux EPR en 2007 à la Chine, à 3, 66 milliards… les deux ! Aux USA, seuls deux AP1000 – le cousin américain de l’EPR – ont été mis en chantier en Géorgie au lieu des dizaines de réacteurs annoncés un peu partout. En 2011, la catastrophe de Fukushima vient stopper net la campagne de relance du nucléaire entreprise par Areva.
Vingt ans plus tard…
12 ans après Fukushima, une nouvelle fois, le climat est mis en exergue pour justifier le projet de construire des réacteurs nucléaires partout sur la planète : ils produiront « une énergie qui émet moins de CO2 » martèle la propagande.
Le 10 février 2022, le Président Macron annonce la construction de 6 à 14 réacteurs. EDF étant en très grave échec sur le chantier du réacteur EPR de Flamanville, il s’agira de réacteurs baptisés
« EPR2 » : « simplifiés », bien plus « faciles à construire « et « moins chers ». Yapluka ! Dans d’autres pays comme la Pologne, la Suède ou les Pays-Bas, des politiciens ignorants croient aux balivernes de l’industrie nucléaire et annoncent eux aussi la construction de nouveaux réacteurs.
De « nouveaux » réacteurs impossibles à construire et à financer…
En France, EDF est incapable de finir l’EPR de Flamanville (Manche). Il devait être construit en 4 ans et entrer en service en 2012. Il a donc déjà 11 ans de retard. Présentant continuellement de nouvelles et graves malfaçons, ce réacteur risque encore d’attendre des années sa mise en service…
On se demande par quel tour de passe-passe EDF serait en capacité de construire 6 à 14 nouveaux EPR dans les années à venir. D’autant qu’il y a un terrible manque de personnels qualifiés (ingénieurs, techniciens, en particulier des soudeurs spécialisés, etc.). EDF doit importer des professionnels pour l’entretien des centrales actuelles (affaire de la corrosion, voir plus bas), alors avec qui lancer de nouveaux chantiers ?
EDF est en situation de faillite, plombée par les flops des chantiers EPR et par le délabrement des réacteurs actuels. L’État français renfloue régulièrement l’électricien pour lui permettre de continuer à fonctionner, mais la dette est impossible à rembourser. Alors comment financer de nouveaux réacteurs ?
Les réacteurs actuels en état de délabrement généralisé
Pour produire de l’électricité, EDF ne pourra pas compter sur de nouveaux réacteurs avant 2045 ou 2050. Étant donné qu’aucune alternative au nucléaire n’a été sérieusement mise en oeuvre, la seule option qui reste à EDF est d’essayer de faire durer le plus longtemps possible les réacteurs actuels.
On parle d’allonger leur durée de vie à 60, voire 80 ans ; que dire de réacteurs prolongés au delà de toute limite alors que leur mise à l’arrêt pour corrosion ou autre se multiplient ? En 2022, des fissures sont apparues sur des systèmes de sûreté très importants ; elles ont été découvertes sur au moins 16 réacteurs sur 56 (« corrosion sous contrainte »).
Et début mars 2023, une nouvelle affaire est avouée par EDF concernant le réacteur 1 de la centrale nucléaire de Penly : une fissure dans un endroit inattendu, d’une profondeur de 23 mm pour un tuyau d’une épaisseur de 27 mm : il ne restait plus que 4 mm avant la rupture ! Dès le lendemain, deux nouvelles fissures sont découvertes dans les centrales de Penly et Cattenom.
Le parc nucléaire actuel est dans un état de délabrement avancé qui va entraîner des arrêts de réacteurs de plus en plus nombreux et fréquents (sans parler du risque d’accident nucléaire) et maintenir la France en état de dépendance vis-àvis de ses voisins et en particuliers de l’Allemagne qui, depuis longtemps déjà, alimente massivement la France en électricité.
La part du nucléaire dans l’énergie mondiale est infime et en déclin
Le nucléaire produisait 17, 1 % de l’électricité mondiale en 2001. Or, aujourd’hui, cette part n’est plus que de 9, 5 % : il ne s’agit pas d’une simple baisse mais d’un véritable effondrement, commencé d’ailleurs bien avant le désastre de Fukushima.
Ce phénomène est voué à continuer et s’accélérer : la grande majorité des 400 réacteurs nucléaires encore en service sur Terre sont en fin de vie. Dans tous les cas, dans les 20 ans à venir, ce sont entre 100 et 200 réacteurs qui vont fermer définitivement, les autres suivant de près.
Si une cinquantaine de réacteurs est en construction dans le monde (surtout en Chine), cela ne fera que freiner un peu la suite de la chute rapide du nucléaire.
La part de l’électricité dans la consommation mondiale d’énergie est d’un peu moins de 20 %.
De fait, le nucléaire couvre moins de 2 % de la consommation mondiale d’énergie, une part infime et en déclin.
L’impossible électrification générale de la société mondiale
Les adorateurs de l’atome ont « la » solution : il « suffit » d’électrifier massivement l’économie mondiale et de faire du nucléaire la source la plus importante de production d’électricité dans le monde.
L’électrification générale de la société mondiale est un doux rêve. Le seul projet de remplacer à marche forcée les voitures thermiques par des voitures électriques se heurte à des réalités matérielles et financières incontournables. D’ailleurs, la décision prise au niveau de l’Union européenne d’interdire la commercialisation de voitures thermiques à partir de 2035 est en voie d’être annulée, non pas sous la pression d’un implacable « lobby des moteurs thermiques et du pétrole » (même si ce lobby existe) mais tout simplement parce que tous ceux qui travaillent sur ces questions savent qu’une telle bascule est totalement impossible sur les plans industriels et financiers.
Et à supposer que des centaines de millions de voitures thermiques (sur un total de 1,4 milliard sur Terre) soient remplacées par des voitures électriques, personne ne sait comment celles-ci pourraient être rechargées. Au « mieux » par d’innombrables centrales électriques alimentées au charbon ( !), qui peuvent être construites en peu de temps et à moindre frais.
Electrifier l’ensemble ou du moins une bonne partie du monde (transports, industrie, chauffages des habitations, etc.) demanderait des investissements pharaoniques pendant des décennies, probablement un siècle. On est dans la totale illusion, et de toute façon, ce serait bien trop tard pour lutter contre le changement climatique, qui nous frappe d’ores et déjà.
Astrid, Thorium, Fusion : le bal des illusions nucléaires
Les adorateurs de l’atome n’ont plus que la foi dans des technologies « miraculeuses ».
Ainsi, le projet Astrid, successeur du surgénérateur Superphénix qui n’a jamais correctement fonctionné est abandonné. Le surgénérateur allemand de Kalkar a fermé sans jamais avoir pu être mis en service, celui de Monju au Japon a connu une suite ininterrompue d’incidents dont un terrible incendie avant d’être fermé à son tour.
De même avec la filière thorium et son combustible « abondant sur Terre », « sans production utilisable à des fins militaires » … Elle a un léger défaut : ses réacteurs, qui n’existent que sur le papier, sont eux aussi des surgénérateurs, comme Superphenix, Kalkar, Monju. Retour à la case échec !
Il ne reste plus que la foi en la fusion nucléaire.
À Cadarache, en Provence, l’installation Iter est en construction depuis près de 20 ans. Elle regroupe toutes les grandes puissances (USA, Russie, Chine, Japon, Corée du Sud, Inde, Union européenne). Échec total ! C’est un puits financier sans fond qui engloutit des dizaines de milliards.
Fin 2022, on a appris qu’il fallait même détruire une partie de ce qui a été péniblement construit pour en extraire des pièces gigantesques présentant de graves malfaçons et tenter de les réparer. Cela prendra des années, sans certitude de résultat.
L’industrie nucléaire française va peut-être obtenir le lancement de quelques chantiers de nouveaux réacteurs « EPR2 », par exemple à Penly (Seine-Maritime). Cela ne permettra pas de donner une nouvelle vie à l’énergie nucléaire, laquelle est en déclin irréversible sur Terre, mais cela promet de coûter une nouvelle fois des dizaines de milliards qui seraient tellement utiles pour les plans
d’économies d’énergie, de développement des renouvelables, ou pour tout autre investissement utile à la société (santé, éducation, culture, etc.).
Sans parler des catastrophes déjà survenues (en particulier Tchernobyl et Fukushima) ni de celles malheureusement très possibles à l’avenir, sans évoquer non plus la question insoluble et dramatique des déchets radioactifs, le nucléaire est par nature une calamité pour la planète et pour les êtres vivants
*Stéphane Lhomme, directeur de l’Observatoire du nucléaire.
http://www.observatoire-du-nucleaire.org/
Note 1 : La campagne d’Areva pour relancer
le nucléaire : https://cutt.ly/t8Fk98o