Le coût du numérique
Un article dans la revue Silence, qui date de mars 2023
Sortie des énergies fossiles = tout électrique = batteries = cobalt + Coltran = guerres et dévastations en RdC. David Maenda KITHOKO explique cette équation implacable que les sociétés occidentales feignent d’ignorer.
La RdC constitue un exemple emblématique de la « malédiction des ressources naturelles ». Aujourd’hui, le pays détient l’essentiel des réserves mondiales de cobalt et de coltran, deux matériaux indispensables aux batteries de nos appareils électriques. Sans eux, pas de smartphone, pas de voiture électrique, pas de transition énergétique telle qu’on nous la concocte en haut lieu. David Maenda KITHOKO connaît bien la question. Fraîchement diplômé de Sciences Po Grenoble, ce jeune Congolais est réfugié politique en France, avec une partie de sa famille, depuis dix ans. Il milite pour une écologie décoloniale, notamment avec l’association Génération Lumière. Silence l’a rencontré.
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Silence : Peux-tu nous donner quelques repères historiques sur le République Démocratique du Congo, de façon à éclairer sa situation actuelle ?
David : Notre histoire ne commence bien entendu pas avec lui mais nous pouvons partir de Léopold II, roi des Belges, qui a été propriétaire, entre 1885 et 1908, d’un pays qui ne servait qu’à exploiter les ressources dont l’Occident avait besoin à l’époque, dont le caoutchouc. Cette exploitation a été d’une barbarie inouïe, avec travail forcé, mains coupées quand les quotas de production n’étaient pas atteints etc. On estime à 10 millions le nombre de Congolais tués. L’extractivisme a donc une longue histoire, qui commence là.
En 1908, Léopold cède le Congo à l’État belge et on entre alors, officiellement, dans la période de la colonisation. On découvre que le Congo regorge de richesses minières : de l’or, des diamants, du cuivre, du fer. Il y a aussi de l’uranium, qui sert notamment à fabriquer les bombes d’Hiroshima et de Nagasaki. Ces matériaux sont ceux réclamés par les industries capitalistes occidentales et leurs guerres.
L’indépendance du pays est arrachée en 1960, avec Patrice LUMUMBA, assassiné un an plus tard. MOBUTU impose sa dictature pendant 32 ans, avec le soutien des pays riches qui voulaient de l’ordre pour le bon fonctionnement de l’exploitation minière par leurs firmes. Pourtant, le pays n’a jamais connu la paix.
Laurent Désiré KABILA finit par chasser MOBUTU en 1997 et là, c’est le boom de l’électronique. Et on découvre, une fois encore, que des matériaux indispensables, le cobalt et le coltran, se trouvent massivement en RdC. Les multinationales de l’électronique et de la téléphonie s’installent (Nokia, Siemens et autres) et n’hésitent pas à passer des accords d’exploitation avec des bandes armées. Le pays devient une jungle où chacun se sert en toute impunité et une nouvelle guerre commence à partir de 1998, appelée 2è guerre du Congo ou 2e guerre mondiale africaine car elle a impliqué jusqu’à 9 pays. L’enjeu était le contrôle des ressources naturelles, et en particulier les mines dans l’est du pays.
Quelle est la situation aujourd’hui ?
Officiellement, la 2è guerre du Congo a cessé en 2003 mais en fait elle se poursuit. Il y a toujours au moins 100 groupes de rebelles armés actif dans l’est, soutenus par l’Ouganda et le Rwanda et les violences, notamment les viols, se sont diffusés dans le fonctionnement de la société. L’État est corrompu et ne maîtrise plus rien. Les entreprises chinoises ont aujourd’hui le quasi-monopole de l’exploitation et la Chine distribue les produits finis au monde entier. Elle permet donc aux multinationales occidentales de ne plus se salir les mains en RdC, tout en contrôlant l’accès aux ressources.
Les entreprises chinoises exploitent de façon industrielle, mais il y a aussi une exploitation artisanale qui représente environ 20 % de l’activité. Ce sont des gens, souvent des enfants (on parle de plus de 4000), qui récoltent un peu de minerais dans des conditions terribles et au péril de leur vie. La pollution des sols, des eaux, de l’air n’est pas mesurée mais est bien présente et entraîne beaucoup de maladies et de morts. On peut aussi constater une déforestation massive, pour les besoins logistiques et de transports des industries, alors que la RdC est le 2è poumon de la planète après l’Amazonie. Environ 4 millions de personnes sont aussi déplacées, contraintes de vivre dans des camps, de façon plus que précaire. C’est une situation dramatique.
La demande en cobalt, source de conflits sanglants
Et tu crains que cette situation n’empire, avec une possibilité de 3è guerre ?
Oui, parce que la transition écologique dans laquelle le monde s’engage, ce n’est pas la sobriété. C’est toujours l’extraction et c’est l’électrification. L’Europe, mais aussi la Chine et les autres, veulent désormais leurs villes décarbonées et des voitures électrique. Les besoins en cobalt, en coltan et en lithium (qu’on vient aussi de découvrir en RdC) sont donc en train d’exploser : on parle d’une demande mondiale de cobalt qui pourrait être multipliée par tris d’ici 2030. Il va donc y avoir à nouveau des conflits plus généralisés que ceux d’aujourd’hui pour le contrôle de ces ressources, une 3è guerre du Congo. D’autant plus que la Chine commence aussi à imposer certaines normes, ça devient plus cher de passer par elle et donc certains, les multinationales comme toujours, vont vouloir aller se fournir directement.
Le conflit entre l’armée congolaise et les rebelles du groupe M23 semble prendre de l’ampleur et certains médias évoquent « le possible retour des guerres communautaires ». Qu’en penses-tu ?
Le M23 est un mouvement formé, soutenu, financé par le Rwanda, dont la stratégie est de servir les intérêts occidentaux. Le Rwanda possède actuellement l’armée la mieux équipée de la région et l’Europe vient de lui verser encore 20 millions d’euros. Donc, qu’on arrête de parler de guerres communautaires ! C’est une interprétation profondément raciste, « voilà les Africains qui recommencent à se massacrer entre eux », alors que les enjeux sont toujours les mêmes : le contrôle des richesses de l’est (même si je ne nie pas qu’il y ait des conflits communautaires). Les populations civiles congolaises vont le payer de leur sang. Il y a eu un massacre de 131 personnes récemment par le M23 dans un village du Kivu.
« L’écologie est nécessairement décoloniale »
En quoi l’histoire de la RdC, avec son cycle infernal de guerres liées aux besoins industriels occidentaux, a-t-elle forgé ta conception de l’écologie ?
Pour moi, l’écologie est nécessairement décoloniale car les modes de vie occidentaux n’auraient pas pu et ne pourraient pas exister sans la prédation des ressources dans les pays coloniaux. Le Congo en est un exemple évident. Et j’ai un cri de colère parfois avec certains de mes amis écolos qui ne voient pas que vouloir faire de l’Europe une bulle propre, non polluée, décarbonée et électrifiée, ne peut se faire qu’au prix des guerres et des massacres ailleurs, notamment en RdC.
Tout est lié et l’écologie doit aussi selon moi défendre le droit d’asile. J’ai eu un déclic en entendant sans arrêt parler de l’envahissement de l’Europe par les migrants. Les gens qui en parlent ont un téléphone dans leur poche et c’est pour la fabrication de ce téléphone que je suis ici, réfugié politique, parce que mon pays d’origine est envahi par les puissances industrielles étrangères. Alors, c’est pour le moins gonflé. Et je vois qu’en France, et ailleurs, tout est fait pour que l’on ne puisse pas se passer de connections permanentes. On construit donc un monde et un avenir que ne connaîtra pas la paix. Notre seule chance de paix, c’est une écologie fondée sur la sobriété.
En attendant, il faut obtenir la reconnaissance du crime d’écocide au niveau international, comme cela a été fait pour le génocide. Cela permettrait en RdC de poursuivre non seulement des chefs de guerre mais les multinationales qui font la loi dans le pays. Il faut aussi une législation qui ne soit pas hypocrite et qui oblige les multinationales non présentes en RdC à établir la traçabilité de leur chaîne d’approvisionnement. On peut maintenant contrôler toutes mes données les plus personnelles, mes battements de cœur ou l’évolution de mon poids et on ne pourrait pas savoir qu’il y a du cobalt ou du coltran dans un smartphone et que ces matériaux proviennent forcément de zones où le sang coule ? Il faut obliger les entreprises, les Samsung et autres, à reconnaître leurs responsabilités quand un massacre est commis dans le Kivu.
Tu as fondé Générations Lumière, une association destinée à traduire en acte cette vision de l’écologie. Peux-tu nous en parler ?
Oui, je l’ai créée avec d’autres. C’est une association qui fonctionne en RdC grâce à mon ami Roger qui y vit toujours (moi, je ne peux pas y retourner), et en France. En RdC, il s’agit d’abord de faire un travail de « conscientisation » de la population, au travers d’actions concrètes comme la plantation d’arbres ou l’installation de poubelles publiques. Nous n’avons pas la prétention de résoudre le problème des déchets mais d’amorcer la réflexion avec les gens. Parce que, attention, des territoires en RdC ont déjà connu ce dont parle la collapsologie, la « fin du monde connu », mais nous existons toujours, nous résistons, malgré la peur qui s’est installée. C’est la preuve qu’il n’y a pas d’irréversibilité ;
A Lyon, nous sommes une quinzaine de personnes actives. Nous travaillons en ce moment à un plaidoyer, qui serait porté à l’issue d’une marche, aux députés européens pour qu’ils s’emparent du sujet. Avec Génération Lumière, nous assumons de de porter des projets, avec un peu de naïveté peut-être, mais en refusant la fatalité.
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Une voiture électrique, c’est 8 à 10 kg de cobalt provenant de la RdC
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Fabien LEBRUN vient dans la région en fin de mois. Il traitera notamment de ce problème … et de la surexposition des écrans.
Un prochain article détaillera le programme – normalement le 20 novembre … Mais il y a déjà l’ensemble du programme – non détaillé – dans le diaporama sur ce site.