Des personnes « électro-sensibles » accusent de multiples maux wifi, portables, antennes relais…
Justice et médecine tâtonnent.
À 55 ans, Patrick Vaillant n’a jamais vraiment eu de problèmes de santé – « Je n’avais même pas de médecin traitant » –, jusqu’au jour où lui et sa compagne ne parviennent plus à dormir à poings fermés. Acouphènes, maux de tête, insomnies, en une semaine leur vie est soudainement devenue insoutenable dans leur appartement à Rennes. « Au début, on se demandait ce qui se passait, on se disait qu’on commençait à vieillir. » Mais, au bout de huit jours, le couple a reçu un courrier d’EDF qui leur « indiquait que le compteur Linky était enfin devenu communicant : là, on a fait le lien ». Premier réflexe, en attendant d’aller chez le médecin généraliste, et pour essayer de mettre des mots sur leurs troubles : « On a fait des recherches sur Internet, on a plongé dans quelque chose à quoi on ne s’attendait pas du tout. » Le couple a découvert l’électrosensibilité. Aussi appelée électro-hypersensibilité (EHS), elle se définit par « une réaction du corps face à un changement des ondes électromagnétiques environnantes », indique Gauthier Desmarchelier, médecin généraliste à La Rochelle. Cette pathologie toucherait 5 % de la population française, soit près de 3,3 millions de personnes, selon les chiffres de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses).
Mardi 23 avril, le tribunal de grande instance de Bordeaux a donné gain de cause à 13 des 206 plaignants contre les compteurs Linky imposés par Enedis (1) : ceux-ci étaient en possession d’un certificat médical reconnaissant leur sensibilité aux ondes électro-magnétiques. Enedis doit désormais installer un « filtre protecteur ». En mars déjà, treize autres plaignants de Haute-Garonne et d’Ariège, reconnus électrosensibles, avaient obtenu d’un juge des référés de Toulouse l’interdiction pour Enedis de poser des compteurs Linky chez eux.
« Enedis a discrètement remis notre compteur électrique classique chez nous, précise Patrick Vaillant. Mais comme nos voisins sont aussi équipés de Linky, les problèmes ont persisté. » Lors du diagnostic, le couple rennais a été redirigé vers le CHU de Nantes au service des pathologies professionnelles, où le répondeur sonne le glas : « Pour toute demande de rendez-vous concernant l’électrosensibilité, merci de rappeler en septembre 2019. » La file d’attente s’allonge de jour en jour. « Les médecins nous ont dit que de plus en plus de patients comme nous se présentaient : des centaines de personnes. » Depuis un an maintenant, Patrick et sa compagne vivent dans une caravane près de Rennes. « J’ai perdu mon emploi à la médiathèque, je ne pouvais plus aller travailler. On m’a proposé une reconversion dans les espaces verts, mais j’ai eu des tendinites et six mois d’arrêt de travail. » Désormais, le couple a décidé de rénover une maison dans la périphérie de Rennes « avec des circuits électriques blindés ». Un vrai calvaire pour eux de retourner dans leur appartement chercher leurs affaires : « On y va une heure par-ci, une heure par-là, on ne peut pas rester trop longtemps. » Patrick pense aujourd’hui à se reconvertir.
« L’électrosensibilité a quelque chose de très discriminant. Il faut adopter le principe de précaution et faire en sorte que les gens ne soient pas exposés aux conséquences de cette technologie », souligne Pierre-Marie Théveniaud, président de Robin des toits, association qui lutte pour la sécurité sanitaire des populations exposées aux nouvelles technologies de télécommunications sans fil. S’il est aujourd’hui souvent pointé du doigt, le compteur Linky n’est pourtant pas le seul émetteur d’ondes électromagnétiques. Les sources peuvent être, entre autres, le téléphone portable, le wifi, les antennes relais ou encore les néons.
Sophie Pelletier, présidente de l’association Priartem (2), souffre elle aussi d’électrosensibilité. « Ça a commencé fin 2010 quand je travaillais à la tour Montparnasse. C’est arrivé du jour au lendemain. Je ne dormais plus, j’ai eu des problèmes cardiaques, de concentration et de mémoire. Quand quelqu’un appelait dans mon dos, ça me lançait des piques dans le cœur. » Arrêtée pendant quatre ans, elle a dû changer ses habitudes et dire au revoir à la tour Montparnasse. « Je n’ai pas le wifi chez moi, ni de téléphone fixe sans fil ou de lampe fluocompact. » Mais la présidente se dit « chanceuse de n’avoir a priori que ça. Mon médecin traitant avait déjà eu un patient électrosensible. J’ai fait le rapprochement et il n’a pas sursauté. »
Un problème récurrent que rencontrent les personnes EHS est l’établissement d’un diagnostic. En mars 2018, après quatre ans de recherches menées sur l’hypersensibilité aux ondes électromagnétiques, l’Anses a publié un avis la reconnaissant comme « une réalité vécue ». L’agence « met en évidence la grande complexité de la question de -l’électro-hypersensibilité. Tout d’abord, il n’existe pas, à ce jour, de critères de diagnostic de l’EHS validés, et il résulte de l’expertise que la seule possibilité pour définir l’EHS repose sur l’autodéclaration des personnes ».
« On a affaire à des symptômes très divers, mais les plus fréquents sont des maux de tête, des vertiges, des bourdonnements d’oreilles, et qui semblent liés à la proximité avec une source émettrice, que ce soit avec un téléphone portable, des bornes wifi, ou encore des antennes relais. Parfois, cela survient lors de la conduite en voiture, constate le docteur Dominique Tripodi, chef du service de pathologie professionnelle et environnementale au CHU de Nantes. Quand on reçoit les patients, on analyse les symptômes, comment ils sont apparus, dans quel contexte, on demande s’il y a eu des mesures de champs électromagnétiques chez eux. On regarde les modalités d’évolution des symptômes, s’il y a des troubles neurologiques. Parfois on fait aussi des prises de sang. » Au terme de ces examens et en s’appuyant sur le rapport de l’Anses, le diagnostic conclut ou non à une hypersensibilité.
En octobre 2018, la députée LREM Valérie Petit a alerté la ministre Agnès Buzyn sur le manque de reconnaissance des personnes électrosensibles par une question écrite. Le ministère a répondu en décembre en s’appuyant sur le rapport de l’Anses : « Parmi les hypothèses de recherche analysées par l’agence pour interpréter les symptômes des personnes, aucune n’a pu être retenue comme probante. Les personnes concernées se trouvent, pour une grande partie d’entre elles, dans un état de souffrance physique ou psychique plus ou moins important. » Avant d’ajouter que « conformément à l’article 8 de la loi n° 2015-136 du 9 février 2015 relative à la sobriété, à la transparence, à l’information et à la concertation en matière d’exposition aux ondes électromagnétiques », le gouvernement remettra prochainement un rapport au Parlement sur les mesures de prise en charge des personnes touchées par l’EHS.
Les associations et militants craignent aujourd’hui le passage à la 5G. Davantage d’électrosensibles risquent de se manifester. Le Dr Gauthier Desmarchelier estime que ce passage va générer une augmentation de cas plus importante que celui de la 3G à la 4G. « Il faudrait effectuer un travail d’épidémiologie et noter le nombre de cas dans une ville en fonction du temps d’installation de la 5G »,précise-t-il. Le délai d’attente pour obtenir un rendez-vous au CHU de Nantes risque d’être encore plus long…
Notes
(1) Enedis est la filiale d’EDF chargée du réseau de distribution de l’électricité, responsable du déploiement des compteurs Linky.
(2) Pour rassembler, informer et agir sur les risques liés aux technologies électromagnétiques.
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