Il penche trop d’un côté !!
Interrogé sur France Inter, le Médiateur de l’énergie a expliqué que le taux de refus des compteurs Linky était négligeable. Problème : il utilise un chiffre que lui a donné… Enedis.
Mardi 14 mai, Bruno Duvic, présentateur du 13 heures de France Inter, recevait dans son journal le médiateur national de l’énergie. Celui-ci venait en effet de publier son dernier rapport d’activité – rapport au demeurant très instructif sur bien des points. On y apprend par exemple que Jean Gaubert, le médiateur en question, «s’inquiète de la hausse persistante du nombre de litiges : +38% en 2 ans». Quant aux médiations relatives à des problèmes de facturation (blocage de factures, erreur sur le prix, règlement non pris en compte…), elles «ont fait un bond de 60%».
C’est effectivement beaucoup – merci à la libéralisation du secteur. Et comme le remarque très justement le médiateur, ce sont les foyers les moins aisés qui sont les plus touchés : l’augmentation du prix de l’énergie les percute avec d’autant plus de force qu’ils n’ont pas de marges financières pour y faire face, et qu’ils occupent souvent des habitations mal isolées.
« On a l’impression que la France est à feu et à sang »
Sur le Linky et la fronde qu’il suscite, l’analyse du médiateur semble nettement plus discutable, voire orientée. Car évidemment, Bruno Duvic, en fin d’interview, lui a posé une question sur ce petit compteur qu’il adore et les opposant·es qu’il méprise. «Je voudrais quand même rappeler, a répondu Jean Gaubert, que jamais le taux de refus des compteurs Linky, en France, n’a dépassé 2%. On a l’impression que la France est à feu et à sang, (mais) jamais il n’a dépassé 2%. »
Or, compte tenu des conditions dans lesquelles se déroule ce déploiement, ces 2% nous paraissent, déjà, loin d’être négligeables. Notamment parce que dans énormément de cas, les gens se voient dotés du compteur communicant sans en avoir été informés. Le médiateur ne peut pas l’ignorer, puisque cela ressort aussi de ses propres chiffres. En page 60 de son rapport, on peut lire, au sujet de l’opération Linky : «Première source de contrariété ? Des particuliers ne sont pas prévenus en amont du passage du technicien».
Le médiateur a même la bonne idée de rappeler la règle, qui, s’agace-t-il, «est pourtant claire» : «le gestionnaire de réseau doit envoyer un courrier d’information 45 jours avant la pose du compteur.» Nous passerons sur Enedis, qui «affirme faire sa part» et ne s’estime pas responsable des agissements de ses sous-traitants. Ce qui en dit long sur la notion de service public dont osent encore se réclamer certain·es de ses dirigeant·es.
1,3 million de personnes
De même, à bien y réfléchir, ce 2% reflète en réalité une mobilisation gigantesque ! En se référant aux chiffres de l’Insee de 2013, 2% des 28,5 millions de ménages français, cela représente 570 000 ménages, soit 1,3 million de personnes. Or, avec Linky, qui ne dit rien consent. Les 2% ne représentent donc que les citoyen·nes qui ont fait la démarche d’exprimer leur refus.
Lorsque la pétition «L’affaire du siècle» a dépassé le premier million de signatures (elle en est désormais à plus de 2 millions, est c’est tant mieux!), les médias mainstream se relayaient pour expliquer combien cette mobilisation était extraordinaire. Il est néanmoins plus simple de signer une pétition en ligne que de préparer des courriers, les écrire, les imprimer, les timbrer et aller les poster.
Médiateur ou porte-parole ?
Et puis, il y a le chiffre lui-même : 2%. Comme au sujet du chiffre d’une mobilisation, pour lequel il faut absolument préciser si c’est «selon les manifestant·es» ou «selon la police», nous nous sommes demandé comment le médiateur était parvenu à ce pourcentage. Nous avons donc posé la question à son service com’, et voici la réponse qui nous a été faite : «Les 2% cités par Jean Gaubert, c’est des chiffres qui sont communiqués par Enedis dans des réunions informelles.» Autrement dit, le médiateur reprend tel quel un chiffre donné par l’entreprise qui, depuis le début de la fronde, tente d’en minimiser l’ampleur.
Si le médiateur veut avoir un meilleur aperçu du niveau de rejet de ce compteur, nous pouvons lui conseiller de se replonger dans son propre rapport annuel Énergie-Info de 2018, lequel montre que «seule la moitié des foyers est favorable à l’installation des compteurs communicants». Et s’il veut actualiser un peu ses données, qu’il sache que le magazine Capital a récemment publié un sondage qui montre que plus des deux tiers (71 %) des usagers veulent désormais pouvoir refuser Linky.
Article paru sur le site de l’âge de faire