Le grand retour du sabotage

D’abord un rappel sur le sabotage des antennes 5G

la carte des sabotages des antennes 5G

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Le sabotage a toujours fait partie des luttes sociales et écologiques

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Contre les saboteurs, l’État sort l’artillerie lourde

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À la croisée des chemins, le mouvement écologiste s’interroge sur ses pratiques et renoue avec des gestes plus offensifs, comme le sabotage. Une façon de s’opposer frontalement au désastre qui vient.

Partie 1 de l’enquête : « Le sabotage, quand protester ne suffit plus ».

Le temps de la protestation polie est peut-être définitivement révolu. À mesure que la catastrophe climatique se précise et devient de plus en plus palpable, le sabotage revient sur le devant de la scène. Sa pratique gagne en légitimité et se généralise au sein du mouvement écologiste.

Il suffit de voir son essor ces derniers mois, au cœur d’un été suffocant : des dizaines de greens de golf ont été bouchés au béton, des jacuzzis détruits et des SUV dégonflés dans plusieurs villes du pays. Dans le sud de la Vendée, plusieurs mégabassines — des réserves d’eau immenses — ont été débâchées. Face à l’urgence climatique, des activistes ont décidé de cibler directement les responsables du désastre et les comportements polluants des plus riches.

« On tend de plus en plus vers une écologie de la conflictualité », atteste le sociologue Manuel Cervera-Marzal, auteur de Résister (éd. 10-18). « On sort enfin de l’idée que l’écologie serait ce qui nous rassemble et que l’on serait tous sur le même bateau. L’écologie est, en réalité, ce qui nous divise. Des gens ont intérêt à lutter contre le réchauffement climatique, d’autres se font de l’argent sur la crise », souligne le chercheur, qui voit dans le développement actuel du sabotage « une forme renouvelée de désobéissance civile ». Une nouvelle manière de dire non et d’assumer la fracture dans une époque gangrenée par le greenwashing où tout le monde se prétend écolo.

Avec le sabotage, il ne s’agit plus seulement de se faire entendre ou d’espérer vainement être écouté par le pouvoir, les activistes veulent très concrètement entraver, gêner et ralentir la machine qui nous menace, « combattre le feu par le feu ». « Si quelqu’un a placé une bombe à retardement dans votre maison, vous êtes en droit de la débrancher et de la détruire », affirme ainsi le chercheur Andreas Malm dans Comment saboter un pipeline, un livre qui a connu un certain succès dans le milieu militant.

« Il n’est plus possible de militer comme nous le faisions avant »

Aujourd’hui, aucun secteur économique n’est épargné. Des distributeurs de billets de banque sont mis hors service. Des milliers de trottinettes électriques sont sabordées. Chaque mois, des antennes relais 5G continuent de brûler. Des compteurs Linky sont démontés. Pour lutter contre l’exploitation forestière, des abatteuses sont incendiées.

En région parisienne, des usines de ciment Lafarge sont attaquées. À Bure (Meuse), des sous-traitants du nucléaire sont pris pour cible, la voie ferrée qui devait acheminer les déchets radioactifs a été endommagée. Dans le Bugey (Ain), des antispécistes ont mis le feu à un abattoir. Partout, des miradors de chasse ont été dégradés. Pour dénoncer l’élevage hors-sol, d’autres activistes ont même vidé un wagon de céréales en mars dernier tandis que des vendanges sauvages ont pillé le vignoble de Bernard Arnault cet été.

Les actions se multiplient aussi sur le front des luttes locales, où le sabotage est pleinement revendiqué pour freiner les grands projets dits inutiles. Encore récemment, à l’ancienne ZAP du Pertuis, des machines de l’entreprise Pellenc ont été dégradées. Dans le Marais poitevin, des mégabassines sont régulièrement sabotées.

« Il y a clairement une popularisation de ce mode d’action », estime un membre de l’équipe des Soulèvements de la Terre. Le militant antinucléaire et antiLinky Stéphane Lhomme y voit « une résistance diffuse » : « Nous sommes dans une période très mouvante de l’histoire. Des portes s’ouvrent, avec de nouveaux imaginaires et de nouvelles pratiques. »

Cette dynamique s’inscrit dans un contexte général, qui touche tout le monde occidental. En Allemagne, un groupe écolo a lancé les Fridays for Sabotage. Aux États-Unis, des oléoducs sont régulièrement visés. En Angleterre, des « Tyre Extinguishers  » — littéralement dégonfleur de pneus — sévissent dans les villes. Des livres et des brochures circulent, et des tutos sur internet rendent ces gestes facilement reproductibles. Les militants n’hésitent plus à se filmer, à se mettre en scène, à communiquer massivement. On se montre en train d’agir, en train de bloquer physiquement la machine.

« Une radicalisation express »

Le sabotage a toujours existé dans les luttes écolos, mais il semble aujourd’hui acquérir une plus grande acceptabilité. L’enquête sociologique sur la « génération climat » menée par le CNRS en 2021 met en exergue la tolérance de la nouvelle génération à « la violence physique sur des objets », en particulier chez celles et ceux engagés dans Alternatiba, ANV-COP21 ou Extinction Rebellion.

De manière plus générale, un tiers des personnes interrogées disent comprendre le recours à des actes violents pour s’opposer à des décisions politiques. Ce sentiment est partagé par 15 % des plus de 65 ans et par 47 % des 18-24 ans, selon une étude de Harris Interactive. Ces chiffres sont complètement inédits sous la Ve République.

« Les règles du jeu ont volé en éclats »

Après la révolte des Gilets jaunes et sa répression, un constat s’impose : « Il n’est plus possible de militer comme nous le faisions il y a vingt ans, ni même il y a cinq ans. Les règles du jeu ont volé en éclats, observe ainsi le chercheur Manuel Cervera-Marzal. La manifestation a perdu son côté subversif et l’interpellation des pouvoirs publics peut paraître inefficace, inutile, voire dépassée. »

Le sociologue parle de « théorème du TGV » pour illustrer « les parcours de radicalisation express des militants écologistes ». Cette transformation s’explique, selon lui, de plusieurs manières : l’aggravation objective de la situation, le sentiment d’urgence et d’impuissance qui ronge les activistes et le tournant autoritaire du pouvoir.

Le rôle pivot de la zad

« Il y a aussi une humeur anarchiste propre à notre époque, analyse un membre d’Extinction Rebellion ayant participé à des actions de dégonflage de pneus. Nous trouvons plus de sens à nous organiser par le bas, par nous-même, via des petits groupes affinitaires en agissant concrètement contre les pollueurs, plutôt qu’à être aux ordres de certaines ONG aux happenings trop souvent inoffensifs. »

La porosité entre le mouvement écologiste et le milieu libertaire, très présent sur les zad, a sûrement joué un rôle. Les liens se sont raffermis ces dernières années. La bataille de Notre-Dame-des-Landes et la séquence qu’elle a ouverte avec la multiplication des luttes territoriales ont nourri les réflexions stratégiques et les occasions de rencontre.

« Sur la zad, nous avons toujours assumé la complémentarité des pratiques, de la pétition aux sabotages, des recours juridiques à l’affrontement avec les forces de l’ordre, rappelle Sylvain, un habitant du bocage. Tout au long de la lutte, Vinci a subi des dégâts matériels conséquents et les travaux préliminaires de l’aéroport ont été en permanence attaqués. C’est cette culture de la résistance, associée à un mouvement de masse, qui a permis d’arracher la victoire. »

Cet imaginaire s’est peu à peu répandu. « Les mouvements sociaux sont désormais plus intelligents, moins identitaires, veut croire un compagnon de route du mouvement climat, qui souhaite rester anonyme. On essaye de mieux se comprendre entre différentes composantes, il y a plus de soin, moins de jugement. L’heure est au pragmatisme, pas au fétichisme. Tout le monde s’interroge sur ses modes d’action et la manière d’être véritablement efficaces. »

La circulation entre les mondes se fait plus facilement, les militants échangent abondamment. Des membres des Soulèvements de la Terre ont par exemple été invités à participer aux journées d’été de Greenpeace et de la CGT en août dernier.

« Retourner l’arme de l’ennemi contre lui-même »

Au creux de ces réflexions, d’anciens récits ressurgissent, ils réactivent une mémoire militante parfois trop sélective. On redécouvre peu à peu les gestes offensifs qu’ont pu avoir nos aînés, avec les campagnes de sabotage contre le nucléaire, les OGM ou l’élevage industriel.

Déjà dans les années 1970, des penseurs de l’écologie parlaient du sabotage comme d’une forme « d’autodéfense » face au ravage du monde. « La morale l’emporte sur la légalité, écrivait Günther Anders. Il est nécessaire d’intimider ceux qui exercent le pouvoir et nous menacent, de les menacer en retour et de neutraliser ces politiques qui sans conscience morale s’accommodent de la catastrophe quand ils ne la préparent pas directement. »

La penseuse écoféministe Françoise d’Eaubonne a même forgé le concept de « contre violence » pour qualifier les sabotages écologiques. « Une action très indiquée dans le retournement de l’arme de l’ennemi contre lui-même », déclarait-elle.

Les militants actuels parlent désormais de « désarmement », une subtilité sémantique qui bouscule les imaginaires politiques. « Ce terme permet ainsi de clarifier notre attention et de réanimer le débat de manière fertile, estime un militant des Soulèvements de la Terre. Des armes de guerre sont actuellement braquées sur le vivant. Il faut les neutraliser et désarmer les saccageurs pour aller vers un monde plus en paix. »

50 nuances de sabotage écolo

  • « La manif action » : le sabotage prend alors une dimension collective. Au cours d’une manifestation, des dizaines voire des milliers de personnes s’attaquent à des infrastructures écocidaires, les mettent hors d’état de nuire et revendiquent publiquement le geste. Dernier exemple en date : les mobilisations autour des mégabassines ou la lutte antinucléaire à Bure. En 2016, des centaines de personnes avaient démoli le mur construit illégalement autour du bois Lejuc.
  • « L’action clandestine » : pratiqué le plus souvent de nuit et à visage couvert, ce type de sabotage cherche moins à être médiatique qu’efficace, et à provoquer le maximum de dégâts. Ces actions clandestines sont le fruit de groupes affinitaires ou de personnes seules. Les risques juridiques sont importants et les enquêtes policières nombreuses. On les retrouve particulièrement dans les « technoluttes », avec notamment la destruction d’antennes relais 5G.
  • « Le microsabotage » : forme d’écogeste du sabotage, certains évoquent même un « colibrisme du sabotage ». Popularisé fin 2020 par le groupe La Ronce, ce sabotage se pratique souvent de manière individuelle ou par petits groupes. Les risques légaux sont très limités. À l’époque, La Ronce appelait à déboucher des paquets de sucre dans les magasins pour cibler le lobby de la betterave responsable, selon eux, de la réintroduction des néonicotinoïdes. Ils proposaient aussi de neutraliser les terminaux de paiement des stations Total ou de peindre le QR code de trottinettes électriques.
  • « Le détournement » ou « le sabotage subtil » sans casse ni dégradation. Pour reprendre l’expression du chercheur québécois Samuel Lamoureux, ce type d’action consiste à se jouer des dispositifs technologiques, à les détourner voire à se les réapproprier. C’est un art du travestissement et du canular qu’apprécient particulièrement les humoristes ou les hackers.

Dans les années 2000, les Yes Men se sont notamment fait connaître pour s’être fait passer à la télé pour le porte-parole de Dow Chemical — l’entreprise responsable de la catastrophe de Bhopal. Ils ont annoncé en direct devant 300 millions de téléspectateurs vouloir vendre l’entreprise pour fournir des soins médicaux aux victimes de la catastrophe. En vingt-trois minutes, la valeur en bourse de Dow a chuté de 2 milliards de dollars. Plus récemment, en novembre 2016, des opposants au projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes publiaient un faux communiqué de Vinci qui annonçait le licenciement de son directeur financier après avoir découvert d’importantes erreurs comptables. En sept minutes, le cours en bourse de l’entreprise a chuté de 18 %.

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Partie 2 de l’enquête

« Incendies, déboulonnage… le sabotage, arme historique des luttes  écologistes »

Le sabotage a toujours accompagné les luttes écologistes. Depuis le bouillonnement des années post-1968 et l’avènement d’un mouvement populaire de défense de l’environnement, nombreuses sont celles et ceux qui ont fait le choix de ce mode d’action pour contrer des projets écocides. Incendies, déboulonnages, attaques à l’explosif, engins de chantier endommagés… Le sabotage est devenu peu à peu le cri de résistance de ceux qui ont décidé de s’opposer physiquement aux industriels et à leurs machines.

De 1970 à 2010, plus de 27 000 actions clandestines ont été revendiquées dans le monde par les mouvances animalistes et écologistes, selon l’inventaire minutieux du chercheur Michael Loadenthal. Si elles ont créé des dégâts matériels majeurs, 99,7 % n’ont fait aucun blessé.

Des bombes dans les réacteurs

Un des principaux secteurs industriels à avoir subi la foudre des écologistes est sans aucun doute le nucléaire. Son déploiement autoritaire, au tournant des années 1970, avec le plan Messmer en France, mais aussi dans les autres pays européens, a provoqué une levée de boucliers de la part de la population. Aux manifestations de masse, vivement réprimées, se sont vite greffés des modes d’action plus radicaux. À l’époque, le mouvement antinucléaire était à la fois puissant et diffus, non centralisé et hétérogène. Il s’organisait en comités locaux, rejoints rapidement par des militants libertaires et révolutionnaires.

La pince-monseigneur, la clé à molette et la bouteille incendiaire sont devenues des outils incontournables dans la lutte. Des dizaines de centres techniques et d’agences EDF ont été attaqués au cocktail Molotov, des lignes à haute tension ont été détruites, des entreprises de BTP et des engins de chantier ont brûlé. Dans les années 1970, des vagues d’attentats contre des infrastructures nucléaires, baptisées « les nuits bleues », ont été organisées dans tout le pays.

Pendant la bataille de Plogoff (Finistère) ou de Golfech (Tarn-et-Garonne), des bombes ont été placées sous les mairies annexes pour empêcher les enquêtes publiques. En 1975, la première centrale de Brennilis (Finistère) fut la cible de deux attaques à l’explosif. La même année, Françoise d’Eaubonne, une des pionnières de l’écoféminisme, posa une bombe dans le futur réacteur de la centrale de Fessenheim (Haut-Rhin). Elle provoqua d’importants dégâts et retarda la mise en chantier de dix mois.

D’autres faits d’armes sont restés dans les mémoires. Au Pays basque, la lutte contre le projet de centrale de Lemoiz (Espagne) a rassemblé des centaines de milliers de personnes, dont les indépendantistes de l’ETA (pour « Pays basque et liberté »). À plusieurs reprises, des engins explosifs ont endommagé le chantier. Après dix ans de lutte et l’abandon du projet en 1984, l’entreprise chargée de la centrale affirmait avoir subi 250 attentats et 2 milliards de pesetas de pertes financières.

Autre action emblématique : l’attaque au lance-roquette du surgénérateur Superphénix en 1982 par un écologiste suisse devenu ensuite député. « Le développement forcené actuel de l’énergie nucléaire est un choix irréversible que le capitalisme nous impose. De par son fonctionnement et sa nature, l’énergie nucléaire est la caricature d’un univers hiérarchisé, technocratisé et militarisé », justifiaient les militants de l’époque, avant d’appeler à « intensifier les sabotages ». Une réalité qui se poursuit aujourd’hui, même si la majorité des centrales ont été construites. Encore récemment, le projet Cigéo d’enfouissement des déchets radioactifs à Bure (Meuse) a subi une série de sabotages et les trains Castors (« cask for storage and transport of radioactive material ») de transport de combustibles radioactifs sont régulièrement bloqués.

La suite :

https://reporterre.net/Le-sabotage-arme-historique-des-luttes-ecologistes

avec notamment :

70 % des champs d’OGM détruits

La dynamique Earth First !

Les groupes animalistes

Le sabotage, une arme décoloniale ?