Elon Musk freine l’agrandissement de son usine en Allemagne
Tesla a renoncé temporairement à doubler la taille de sa « Gigafactory » de voitures électriques en Allemagne. Les écologistes locaux, qui ont installé une zad dans la forêt, soufflent, mais se préparent à la suite.
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Une petite victoire, ou une bombe à retardement ? Les 9 000 habitants de la petite ville de Grünheide, près de Berlin, ne savent plus sur quel pied danser après l’annonce de Tesla de mettre sur pause le projet de doublement de sa Gigafactory. Construite à toute vitesse en 2021, la seule usine de production de voitures électriques de Tesla en Europe devait s’agrandir pour produire deux fois plus de véhicules : de 500 000 à 1 million par an. Pour cela, 120 hectares de forêt allaient être rasés. Un projet décrié par les associations écologistes locales, qui se préparaient à des actions de résistance en masse.
C’était sans compter une interview ambiguë donnée par André Thierig, directeur de la Gigafactory. « Nous n’allons pas investir plusieurs milliards dans l’extension de l’usine sans que les signaux soient très clairs et que le marché en fasse la demande », a-t-il déclaré début août à l’agence de presse allemande (DPA). Et d’ajouter : « Notre planification en début d’année prévoyait une croissance nettement plus forte, ce qui ne s’est pas produit. » Un aveu de défaite ?
« Tesla suspend l’extension de l’usine de Grünheide », ont alors titré plusieurs magazines économiques. La coalition d’opposants Tesla den Hahn abdrehen (« Couper le robinet de Tesla ») a annoncé une victoire d’étape importante contre l’entreprise d’Elon Musk. « Cette décision est le résultat d’années de protestations et d’actions intensives contre les effets nocifs de l’usine automobile sur l’environnement et la santé », se réjouit-elle dans un communiqué de presse. La zad établie dans la forêt, les centaines de manifestations, les actions de sabotage et même la tentative d’envahir l’usine auraient-elles porté leurs fruits ?
Pas confiance en Tesla
Rien n’est moins sûr : Tesla accuse la conjoncture économique et ignore ses adversaires. Ses livraisons de voitures ont diminué de 5 % au deuxième trimestre, soit une baisse de 14 % par rapport au même trimestre de l’année précédente. Tesla aurait également supprimé 400 emplois à la Gigafactory grâce à un programme de licenciement « attractif ». Ne s’agirait-il donc que d’un sursis temporaire ? « Nous pensons fermement que le marché va repartir à la hausse. La question est certainement de savoir à quelle vitesse et quand », confirmait ainsi André Thierig à la DPA.
Il s’agit plutôt d’une bombe à retardement, alors. « Je ne fais pas confiance à Tesla, on observe des travaux continus dans la forêt, notamment de déminage [pour retrouver des explosifs datant de la Seconde Guerre mondiale], critique ainsi Manu Hoyer, cofondatrice de l’initiative citoyenne de Grünheide contre Tesla et présidente de l’association écologiste Natur und Landschaft in Brandenburg e.V. (“Nature et paysages du Brandebourg”). Je me réjouis du sursis, mais en fin de compte, nous ne lâchons pas prise et nous continuons à nous battre. »
D’autant que la pause des travaux ne concerne que le doublement de l’usine, pas la construction d’une gare ferroviaire. « Ils vont détruire la gare de trains utilisée par les habitants et en construire une nouvelle sur l’enceinte de la Gigafactory ; on devra s’y rendre pour nos déplacements, s’offusque l’activiste. Et cette gare va être située en pleine zone de protection de l’eau potable, c’est une aberration totale. »
« Un crime environnemental »
L’eau est au cœur du conflit entre Tesla et les habitants de Grünheide. Le Brandenbourg est l’une des régions les plus arides d’Allemagne, la sécheresse menace habitants et agriculteurs chaque été. Or, la Gigafactory puise dans le réservoir d’eau douce Erkner-Neu Zittau, dans la vallée glaciaire de Berlin, et en a consommé 500 000 m3 l’année dernière.
Tesla affirme n’utiliser que 1,8 m3 d’eau par voiture, un chiffre nettement inférieur à la moyenne de l’industrie automobile. Mais les écologistes soulignent que 170 000 personnes dépendent du réservoir — dont un tiers des Berlinois —, et que la consommation n’est pas le seul problème. 26 incidents environnementaux auraient été signalés, comme la fuite de 15 000 litres de bain de trempage de l’atelier de peinture ou de 13 tonnes d’aluminium liquide dans le bassin.
« Il n’y a aucune autorité de contrôle, Tesla se contrôle elle-même. D’ici deux ans, on pourra dire adieu à l’eau du robinet, on devra acheter l’eau en bouteille au supermarché, critique Manu Hoyer. Ce qui se passe ici, c’est un véritable crime environnemental. » Outre les 92 hectares de forêt déjà coupés, il y a aussi la pollution lumineuse et sonore, ainsi que le trafic de camions de l’usine.
« Les habitants n’en peuvent plus. 71 % se sont déclarés contre l’usine de Tesla quand on a fait un sondage, en début d’année », selon l’activiste. Les écologistes du collectif dénoncent aussi des conditions de travail dégradées dans l’usine, ainsi que l’extraction des ressources minières des pays du Sud. Exploitation des humains et de la nature, soutien à Donald Trump, déclarations transphobes : Elon Musk enchaîne les controverses. De quoi affaiblir son empire économique ?