Démantèlement d’EDF

Le gouvernement joue cartes sous table

 « Il n’y aura pas de scission, il n’y aura pas de privatisation », a soutenu le PDG d’EDF le 10 avril. Mediapart publie une note du gouvernement, adressée le 9 avril aux syndicats du groupe, qui dit tout le contraire : le gouvernement veut privatiser au plus vite la partie la plus

Pour la première fois depuis deux ans et demi, le gouvernement a transmis un écrit sur ses projets pour EDF. Vendredi soir, les syndicats ont reçu une note blanche de trois pages, sans en-tête, ni signée ni datée, censée présenter le détail de la réforme de l’électricien public. Elle était supposée rester confidentielle. En moins de vingt-quatre heures, elle a commencé à faire le tour d’EDF, ce que le gouvernement avait manifestement anticipé.

Car cette note (voir plus bas) est curieusement inconsistante : elle n’aborde aucun sujet de fond. « Il n’y a rien dans cette note. Cela confirme tout ce que nous dénonçons depuis deux ans », dit Sébastien Menesplier, secrétaire général de la fédération CGT Mines-énergie. « Rien n’a changé depuis des mois, si ce n’est des virgules et des changements de noms, sur lesquels, très généreusement, les salariés seront consultés ! C’est carrément insultant, comme si on était des enfants qu’il fallait occuper pendant que les adultes traitaient des questions sérieuses », s’énerve de son côté Anne Debrégeas, responsable Sud Énergie.

« Hercule n’existe plus [le gouvernement a dit avoir abandonné le nom de code de son projet – ndlr]. On a Héraklès à la place », ironise Alexandre Grillat, responsable CFE-CGC d’EDF. « Il n’y a rien dans cette note. Toute l’organisation d’EDF procède d’un accord avec la Commission européenne, or rien n’est dit à ce sujet. Comment peut-on penser réformer EDF sans savoir les conditions imposées par Bruxelles ? Pour le reste, rien n’a changé par rapport aux informations qui nous ont été données auparavant. C’est pitoyable », grince-t-il.

Alors que le gouvernement annonce son intention de réorganiser le premier service public français, censé jouer un rôle majeur dans la stratégie énergétique, il n’a rien à dire à ce sujet. Juste qu’il entend « conserver ses missions de service public ». Pour le reste, il continue à être dans le flou.

Tous les syndicats pointent les absences béantes de cette note. Ils ont commencé à en dresser la liste. Elle ne cesse de s’allonger. Le gouvernement ne dit rien de la transition écologique, du développement des énergies renouvelables, ni du nucléaire. Ce dernier sujet est curieusement passé sous silence, tant la production nucléaire, appelée, semble-t-il, à être commercialisée au niveau européen, que les futurs EPR, censés aller dans une autre filiale échappant partiellement à EDF. Rien n’est dit non plus sur l’avenir d’EDF, de ses financements, de sa dette, de son avenir. Il ne dit pas non plus comment le groupe pourrait être géré, les relations qui existeraient entre les différentes entités, comment seraient gérés, par exemple, les barrages ou le parc nucléaire.

« Il n’y aura pas de scission, il n’y aura pas de privatisation », a affirmé Jean-Bernard Lévy, PDG d’EDF sur France Inter le 10 avril. À lire la note blanche diffusée par le gouvernement, c’est pourtant exactement ce qui est souhaité. Tout le projet du gouvernement se résume en quelques lignes dignes d’un mauvais PowerPoint de quelque banquier d’affaires : un démantèlement pour privatiser la partie la plus rentable du groupe en laissant toutes les charges et les risques à une entité 100 % publique.

« Pourquoi un document aussi pauvre ? Pourquoi maintenant ? », s’interroge un connaisseur du dossier. L’insistance du gouvernement commence à poser question chez beaucoup. Tous ont noté la brutale accélération de ce dossier, qui semblait s’enliser depuis des mois, bloqué par la négociation avec Bruxelles. Brusquement, le ministre des finances Bruno Le Maire et la ministre de la transition écologique Barbara Pompili, qui refusaient de rencontrer les responsables syndicaux depuis des mois, les ont reçus la semaine dernière. Maintenant, il y a cette note, alors que le gouvernement ne voulait rien écrire sur cette réforme auparavant en attendant des entretiens bilatéraux avec chacun des syndicats, reçus un par un.

Ce scénario a tellement un air de déjà-vu que certains ont un mauvais pressentiment. Ils soupçonnent le gouvernement de jouer cartes sous table, d’avancer avec un calendrier et des intentions masqués afin de précipiter un projet de loi porteur du démantèlement d’EDF, s’émancipant du calendrier de la Commission européenne. Ce que le gouvernement indique en filigrane dans la note : « La négociation avec la Commission définit le champ des possibles et ne préemptera pas un débat au Parlement sur l’avenir d’EDF à qui sera soumis ce projet s’il est décidé. »

« Ce qui me frappe, c’est la longue justification politique de cette note », relève Philippe André, délégué Sud Énergie. Peu disert sur ce qu’il compte faire d’EDF, le gouvernement avance tout un argumentaire politique, ressemblant à la trame d’un exposé des motifs d’un projet de loi. Il explique ainsi que toute son ambition est de maintenir le rôle d’EDF, mais que celui-ci n’est plus en mesure de le faire en raison de la régulation du nucléaire et de sa situation financière. La faute, explique-t-il, en revient aux gouvernement précédents. « Tous les gouvernements ont dit vouloir préserver le groupe EDF […]. Mais aucun de ces gouvernements n’a construit un modèle qui permet de le faire », écrit-il.

« Le gouvernement veut manifestement faire pression sur LR et les socialistes. Il veut les dissuader de s’opposer à son projet et de lancer un référendum d’initiative partagée », poursuit Philippe André. Dès la fin de 2020, les députés ont manifesté leur agacement d’être tenus à l’écart de toutes les réflexions sur EDF et ont agité la menace de lancer un référendum d’initiative partagée. Une menace qui effraie le gouvernement : il n’a pas oublié le fiasco de la privatisation d’ADP.

« Ce qui lui importe, c’est de faire passer un texte sur la privatisation d’Enedis. Si ce texte cassant EDF est adopté, il pourra faire passer tout ce qu’il concède à la Commission européenne par ordonnances par la suite, sans jamais avoir à s’en expliquer : la désintégration programmée d’EDF, la mise en pièces du service public, l’électricité nucléaire qui ne sera plus réservée au seul marché français, la construction de nouvelles centrales qui échappera à l’État, compte tenu de l’interdiction des subventions croisées par l’Europe », analyse un autre connaisseur du dossier.

C’est le point central de l’argumentaire du gouvernement : privatiser la partie distribution (Enedis), les énergies renouvelables et les services afin d’assurer leur développement. Il assure que cette entité restera majoritairement publique. Lors de sa réunion avec les syndicats, le ministre des finances avait évoqué un contrôle à 75 % par l’État. Il ne donne plus aucun chiffre dans sa note.

Pour les syndicats, ces engagements relèvent de la poudre aux yeux. Tous ont en mémoire les précédents des concessions autoroutières ou de GDF. Mais, cette fois, la rente sera encore plus juteuse. « Enedis est un monopole public. On comprend qu’il intéresse le privé. Ce sont 35 millions de consommateurs captifs. Mais c’est un monopole qui n’est pas protégé par la Constitution. Demain, après-demain, il sera très possible de le privatiser », note Alexandre Grillat. « D’autant qu’il faudra financer le développement des énergies renouvelables. Elles ne peuvent pas s’autofinancer. Il faudra faire des augmentations de capital et EDF sera dilué au fil du temps », poursuit un connaisseur du dossier.

Le scénario semble plus que probable. Dans sa note, le gouvernement évoque les développements des énergies renouvelables d’EDF en France, en Europe, à l’international. « Le coup de l’international, on nous l’a déjà fait trois fois en vingt ans, en Amérique du Sud, aux États-Unis, en Grande-Bretagne. Cela nous a coûté des fortunes. On ne va pas recommencer une quatrième fois. Avant tout, il faut dessiner une vraie stratégie des énergies renouvelables en France. De quoi a-t-on besoin ? Comment on le développe ? Car EDF n’est pas un groupe pétrolier mais un service public. Il n’a pas vocation à développer des énergies renouvelables partout ailleurs », s’emporte Alexandre Grillat. Pourtant… après avoir lancé la construction d’un vaste champ solaire aux États-Unis, EDF, ce 12 avril, a annoncé la construction d’une centrale solaire et d’un champ d’éoliennes en Arabie saoudite. Des vraies missions de service public.

Si cette note avait pour but de casser l’unité syndicale, elle risque d’avoir raté son objectif pour l’instant : les syndicats d’EDF sont plus remontés que jamais. Ce front uni gêne d’autant plus le gouvernement qu’il semble peser aussi sur les décisions de la Commission européenne. Sachant l’importance politique et symbolique d’EDF en France, celle-ci ne veut pas porter la responsabilité d’être l’institution qui casse ce service public et d’alimenter le sentiment anti-européen en France.

Pour montrer néanmoins l’attention qu’elle porte aux salariés, deux représentants de la DG énergie et de la DG concurrence à la Commission européenne ont accepté de recevoir le 13 avril une représentation des syndicats d’EDF, d’eurodéputés écologistes et de gauche. Peut-être cette réunion permettra-t-elle de comprendre les projets cachés sur EDF, ce que trament le gouvernement et la Commission européenne…

https://www.mediapart.fr/journal/economie/1204

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