Elle choque et oppose, efficacement
« Enfin une bonne nouvelle ! » a dit Aude. C’est que l’affaire n’était pas gagnée d’avance. L’est-elle définitivement ? En tout cas, chacun·e aura apporté sa contribution spontanée, mettant en partage ses convictions démocratiques, culturelles, environnementales ou sanitaires. Forme nouvelle de démocratie ou illusion tenace pour tenir le choc ? Boîte à outils pour d’autres ?
Le déroulé
Le 6 octobre 2019, la société Orange installe le panneau d’affichage de la déclaration préalable en un lieu « où passent peu de promeneurs » , ce qui « n’a pas, par méconnaissance, alerté les populations concernées directement » rapporte La Dépêche.
La veille de la St Valentin suivant, le député Sempastous prend ses distances avec la société Orange : « après avoir rencontré les riverains et les différents acteurs qui s’opposent à la construction de cette antenne, il demande le retrait du projet d’installation qui dénature le paysage et se situe à proximité du site classé du Salut et du Bédat ; il souhaite que l’opérateur mette en place une concertation avec les habitants. »
Le 12 février, le maire de Bagnères-de-Bigorre Claude Cazabat devait recevoir les associations, sur la base de son opposition brouillardeuse: « je ne dis pas que je ne veux pas d’antenne, je ne la veux pas là ». Depuis février, rien. Il n’est pas possible de botter en touche quand on est politique, en imaginant qu’on n’a pas de moyen : être politique, c’est prendre la parole dans l’espace public.
Dès le mois de mars, les opposants organisent une manifestation sur les lieux, comme l’édition En Bigorre l’a partagé.
Le 10 septembre, « alors que les députés ont donné leur feu vert pour le déploiement de la 5G, à Bagnères-de-Bigorre […] les opposants restent mobilisés et le maire n’en veut pas non plus. »
Fin septembre, les opérateurs téléphoniques ont rivalisé de convoitise — et Orange a obtenu la plus grosse part — lors des enchères lors desquelles l’État a empoché 2,786 milliards d’euros.
Le 4 janvier 2021 débutent les travaux pour pour l’installation d’une antenne de téléphonie (Orange) sur les Allées Maintenon.
Ils étaient attendus. Divers·e·s observateur·trice·s transmettent l’information.
Un organigramme permet le soir même de mobiliser les intéressé·e·s.
Le 5 janvier, dès 8h, une quinzaine de personnes, avec le soutien des associations La Voix verte des quartiers, Robin des toits 65 et FNE 65, sont présentes sur le lieu pour bloquer l’accès au chantier pour soutenir les élus.
Les raisons de refuser cette antenne sont les suivantes :
– son installation à proximité du site classé du Vallon de Salut et du Monné est une atteinte au paysage, au patrimoine et à la culture ;
– le territoire semble déjà bien couvert ; la preuve tient au fait qu’en quelques heures nous avons pu organiser notre présence ce matin grâce au réseau existant ! 1
L’utilité de cette antenne pose question ;
– son devenir support probable d’antenne 5 G, au moment où les demandes de moratoires se multiplient pour de nombreuses raisons, continue d’interroger.
Suite à cette action citoyenne qui a provoqué l’intervention du député Jean-Bernard Sempastous (cf. son courrier au préfet), après un constat par huissier du blocage du site, l’entreprise a quitté les lieux avec ses engins et son matériel. Le projet d’installation d’une antenne de téléphonie sur les allées Maintenon serait définitivement abandonné.»
Le courrier du député à Orange et au préfet :
https://static.mediapart.fr/files/2021/01/06/2
Le contexte légal allégé de ses garde-fous
Comme nous l’avons décrit dans ce billet d’avril dernier, l’ordonnance 2020-320 du 25 mars 2020 relative aux délais élimine tous les garde-fous législatifs historiques qui étaient liés à la vie démocratique et à son enrichissement vital socialement, et légal :
à l’article 2 :
« Par dérogation au cinquième alinéa du I de l’article L. 43 du code des postes et des communications électroniques, la décision d’implantation sur le territoire national des stations radioélectriques peut être prise sans accord de l’Agence Nationale des FRéquences pendant la durée de l’état d’urgence sanitaire déclarée sur le fondement de l’article 4 de la loi susvisée du 23 mars 2020 lorsque cette implantation est strictement nécessaire pour assurer la continuité du fonctionnement des services et des réseaux de communications électroniques. »
et à l’article 3 :
« Par dérogation au septième alinéa de l’article L. 47 du code des postes et des communications électroniques, l’autorité compétente se prononce dans un délai de quarante-huit heures sur les demandes de permission de voirie relatives aux installations de communications électroniques […]
Le silence gardé par l’autorité au terme de ce délai vaut acceptation.»
Le maire de Bagnères aurait pu agir, car la loi sur les sites lui permettait d’intervenir — parce que c’était à proximité d’un site classé et il y a des articles de cette loi que l’on peut retrouver— . Malgré tout, un maire peut prendre aussi des motions, par exemple qu’il ne veut pas d’antenne sur son territoire, qu’il veut que cet espace soit affecté à… car il a légalement un rôle politique. Même si un maire ne peut légalement rien faire — on peut l’entendre — il l’a déjà fait dans la presse, puisqu’il a déjà dit qu’il était contre, mais on peut aller plus loin.
L’exemple de Rennes est éloquent :
« Rennes interdit provisoirement le déploiement de la 5G sur son territoire. Avant que des antennes 5G ne soient activées dans l’agglomération, la capitale bretonne va imposer 6 mois d’étude d’impact et de débats citoyens. Un rapport final concernant les effets des ondes générées par le réseau est attendu dans le courant du printemps.» 2
De même, « la Corse a voté pour un moratoire, des maires écologistes veulent faire front commun contre la 5G… 3»,
ou encore en Haute-Loire, où un collectif d’habitants s’interroge sur le bien-fondé d’une nouvelle antenne de 39 mètres de hauteur, 4 ou à Vaux, en Moselle 5.
Et ces demandes de concertation et d’information ne sont pas isolées : issues de propositions de la Convention Citoyenne pour le Climat 6, elles sont vécues de tous bords comme une nécessité démocratique pour réduire la fracture numérique 7 :
« Nous, maires et élus, proposons dans l’immédiat un moratoire sur le déploiement de la 5G au moins jusqu’à l’été 2021 [et la ] tenue d’un débat démocratique décentralisé sur la 5G et sur les usages numériques.
Nous demandons que la priorité soit donnée à la réduction de la fracture numérique, à travers le développement de la fibre en zone rurale et en finalisant le déploiement de la 4G. »
Il est ainsi à douter, devant les mobilisations citoyennes, que l’intransigeance du Président tienne longtemps les citoyen·ne·s hors du champ légitime de leur implication démocratique : «La proposition a été repoussée par Emmanuel Macron dans une déclaration particulièrement méprisante : « Je ne crois pas que le modèle amish permette de régler les défis de l’écologie contemporaine. » »
Mais la jurisprudence du Conseil d’État tient encore le haut des décisions :
« Pour l’implantation d’antennes-relais de téléphonie mobile, le Conseil d’Etat avait jugé en 2011 que « seules les autorités de l’Etat désignées par la loi [étaient] compétentes pour réglementer de façon générale ».
Quoique : des ressources législatives spécifiques peuvent être mises à profit, en suivant les conseils d’un avocat spécialisé comme le “Vademecum à l’usage des collectivités et des associations pour contester la 5G” ci-après :
La mobilisation citoyenne
Non à l’antenne de téléphonie à Maintenon. Arrêt immédiat des travaux.
Nous, habitant-e-s de la Haute-Bigorre et de la Terre, dénonçons par notre présence résolue et durable, le démarrage des travaux pour l’installation d’une antenne 5 G sur les Allées Maintenon.
Cette antenne aura pour fonction de permettre le développement de la 5 G, nous apprenti-e-s « amish » demandons un moratoire et un examen approfondi de l’intérêt de ce développement, une évaluation réelle de son utilité, des aménagements qu’elle implique, des risques de surveillance sociale qu’elle induit, des risques sanitaires dont elle est porteuse.
De plus installer une antenne sur les Allées Maintenon, à l’extrême bordure du site classé du Salut et du massif du Monné, est un attentat culturel, paysager et patrimonial. Un non respect des valeurs immatérielles par un monde purement matériel.
Nous dénonçons aussi la double attitude de l’ensemble des élus et des partis de pouvoir, qui en mars, avant les élections sont venus s’afficher lors de la marche contre cette installation, qui ont déclaré leur opposition à cette installation et n’ont jamais rien mis en place pour amener les promoteurs de l’antenne à revoir leur copie. N’ont en rien informé la population du début imminent des travaux.
Ce n’est pas demain que le monde doit changer, c’est aujourd’hui. Il faut que cessent immédiatement les travaux engagés.
Un déploiement technologique accéléré
Les opérateurs déploient leurs réseaux 5G à vitesse grand V :La France compte aujourd’hui près de 16 000 sites estampillés 5G, selon les derniers chiffres mensuels de l’Agence Nationale des Fréquences. 8
« L’autorisation des sites 5G par le gendarme français des fréquences devrait rapidement déboucher sur une mise en service de ces derniers. « Lorsqu’un site est autorisé, l’opérateur a le droit de le mettre en service », fait-on savoir du côté de l’ANFR, qui précise qu’« en cette période de lancement des offres, l’ANFR n’indiquera pas les mises en service 5G, dont l’évolution est quotidienne. »
Voici la carte des stations 5G autorisées par bande de fréquence publiée au 1er décembre 2020 par l’Observatoire du Déploiement des Réseaux Mobiles Métropole 9
Étude de l’exposition du public aux ondes radioélectriques
En Août 2020, l’ANFR a publié le Rapport d’étape intitulé « Simulation de l’évolution de l’exposition du public créée par la téléphonie mobile en zone urbaine très dense (Paris XIV) » 10
extraits :
page 17/29 : « Scénario «Etat initial»
Les niveaux de champ électrique moyens et médians calculés sur l’ensemble des points de simulation dans la zone du 14earrondissement de Paris sont donnés dans le Tableau 4-1. Les niveaux de champ électrique les plus élevés sont illustrés par la valeur maximum calculée pour 99% des points de simulation.»
page 18 :
« L’exposition derrière les façades, à l’intérieur, est fortement diminuée par rapport à l’exposition à l’extérieur. Cela est dû au coefficient d’atténuation de 20% de traversée de façade, auquel se rajoute la prise en compte de l’angle d’incidence des trajets de propagation sur la façade, avec une forte diminution de la pénétration du champ électrique dans le cas d’incidences rasantes.
Dans la réalité, l’atténuation pourrait être supérieure dans le cas,par exemple,de la présence d’un double vitrage.»
page 19 :
« Dans le scénario “Etat initial”, moins de 2% des émetteurs induisent au moins un point de simulation supérieur à 6 V/m à l’intérieur.»
https://www.anfr.fr/fileadmin/mediatheque/documents/expace/rapport-paris14-v1.pdf
page 27 :
« Dans le Tableau 4-6, on constate que le nombre d’émetteurs induisant un point supérieur ou égal à 6 V/m augmente en fonction des scénarios, jusqu’à atteindre pratiquement un émetteur sur sept dans le dernier scénario.»
Parallèlement, dans sa réponse du 15 décembre 2020 à une Question Écrite au Gouvernement du 2 juin, le Ministère des Solidarités et de la Santé a précisé son action :
extrait :
« Le Gouvernement a sollicité l’Agence Nationale de Sécurité Sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail [ANSES] afin qu’elle s’associe avec l’ANFR pour évaluer d’une part l’exposition aux ondes électromagnétiques et d’autre part l’impact sanitaire éventuel de ces nouveaux développements technologiques, dès la phase des expérimentations.
En janvier 2020, l’agence a publié un rapport préliminaire qui détermine les bases de ses travaux d’expertise. Elle y présente notamment un recensement des études scientifiques disponibles et identifie les axes principaux d’évaluation des risques. Elle a mis en évidence un manque de données scientifiques sur les effets biologiques et sanitaires potentiels liés à l’exposition aux fréquences autour de 3,5 GHz.
L’expertise finale de l’ANSES sur la 5G, attendue en 2021, devra déterminer s’il est possible ou non de prendre en compte les résultats des études obtenus dans les autres bandes de fréquences ou dans des bandes proches de celles utilisées par la nouvelle technologie (autour de 3,5 GHz ; autour de 26 GHz) et s’il est possible d’extrapoler les résultats obtenus sur d’autres bandes de fréquences.
Le Gouvernement a également confié aux inspections générales, CGEDD-CGE-IGAS-IGF, la mission de réaliser un bilan du déploiement de la 5G dans le monde. »
Un dossier a été également été publié par l’ARCEP dont un chapitre fait la synthèse de la législation existante sur le sujet de l’Exposition aux ondes électro-magnétiques :
« Loi n° 2015-136 du 9 février 2015 relative à la sobriété, à la transparence, à l’information et à la concertation en matière d’exposition aux ondes électromagnétiques publiée le 10 février 2015 au Journal officiel (dite » Loi Abeille « ) / Le dossier législatif sur le site du Sénat / Le dossier législatif sur le site de l’Assemblée nationale / Les décrets d’application publiés le 13 août 2016 et le 9 septembre 2016 / Les décrets expliqués sur le site de l’ANFr
- GRENELLE 2 : Loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l’environnement. L’article 183 de cette loi invite l’ARCEP à tenir compte de l’environnement et de la santé dans ses décisions et actions (JO du 13 juillet 2010) / Article L.32-1 du Code des postes et des communications électroniques modifié »
Les inquiétudes récentes à propos de la facture carbone de la 5G
(21/12/2020)
« Pour le Haut Conseil pour le Climat, le déploiement de la 5G devrait faire exploser la facture carbone du numérique. Et d’en appeler à l’ARCEP (Autorité de régulation des communications électroniques et des Postes), pour inclure des dispositions environnementales lors des prochaines enchères de fréquences dédiées. » 11
extraits :
« En se penchant sur différents scénarios, l’organisme évalue toutefois l’impact carbone du déploiement de la 5G à une fourchette comprise entre 2,7 Mt éqCO2 et 6,7 Mt éqCO2 en 2030…
Soit une augmentation significative en comparaison de l’empreinte carbone du numérique (environ 15 Mt éqCO2 en 2020) [soit entre 18 % et 45 % de hausse !]
Et ce n’est pas tout :
« Le déploiement de la 5G risque d’avoir un effet important sur la consommation d’électricité en France, entre 16 TWh et 40 TWh en 2030, soit entre 5 % et 13 % de la consommation nationale d’électricité du résidentiel et du tertiaire en 2019 ».
« la 5G est susceptible d’augmenter significativement » l’empreinte carbone du secteur du numérique, qui représente actuellement environ 2 % de l’empreinte totale de la France, soit à peu près autant que le secteur aérien », conclut le HCC. »
Des batailles en aval aussi viennent grossir les refus de la 5G
« Pratique commerciale trompeuse », c’est le motif qu’a retenu l’Association de Consommateurs CLCV pour s’opposer aux déploiements commerciaux de quelques opérateurs 12:
extrait :
« Derrière des campagnes de communication particulièrement attirantes se cache souvent un manque d’information criant, dénoncé par plusieurs associations de consommateurs. Parmi elles, la CLCV (Consommation, logement et cadre de vie) a pris la décision d’attaquer devant les tribunaux SFR et Orange »
Conclusion de l’action
Nos pieds dans le froid, notre matinée dans la neige (mais c’était beau aussi), ne semble pas avoir été vaine…
Pour celles et ceux qui n’ont pas pu rester jusqu’au bout, il faut savoir que le camion et la pelle mécanique ainsi que du matériel ont été évacués du chantier, après un constat par huissier du blocage (qui a donc été débloqué dans le sens “sortie”).
En pratique, — cela vient d’être confirmé par Jean-Bernard Sempastous qui, une fois n’est pas coutume, est allé au fond de son engagement : — Orange abandonnerait (utilisons encore, prudemment, le conditionnel) définitivement le site pour l’antenne.
Certes la 5G, ou même les réseaux 4G sans zone blanche ou grise ne sont pas questionnés, mais il semblerait que nous ayons fait plier Orange (on peut chercher les forces qui auront joué derrière, vu la petite symbolique bagnéraise dans la Macronie…). Orange pourrait communiquer très prochainement.
Une concertation va être mise en place, où nous devrions avoir notre place (a minima les assos), avec la préfecture, le député, les élus concernés et Orange pour la recherche d’un autre lieu. Il sera toujours temps pour nous de poser la question de l’utilité, du pourquoi.
Mais nous n’allons pas bouder non plus ; savourons la petite réussite, savourons pleinement ce petit coin enfoncé dans la toute puissance du monde connecté.
Cela dit, nous avons encore à
1) Communiquer, en reprenant ce que nous avons dit ce matin et annonçant le départ du chantier de l’entreprise chargé des travaux.
2) À faire savoir que ce n’est pas la peine d’appeler à être présent·e sur le site demain matin à 8 h. Un petit tour de vérification de proches devrait suffire.
https://blogs.mediapart.fr/edition/en-bigorre/articl