
« Il faut réconcilier la révolution de l’IA avec nos objectifs environnementaux »
L’essor fulgurant de l’intelligence artificielle (IA) en fait une révolution technologique majeure, à l’instar de la machine à vapeur au XIXᵉ siècle ou de l’électricité et des technologies de l’information au XXᵉ siècle. Toutefois, à la différence de ces précédentes révolutions, toutes fondées sur une forte croissance des flux énergétiques, celle de l’IA devra s’imposer dans un contexte où la réduction des émissions de gaz à effet de serre constitue désormais une priorité mondiale.
Or, pour l’heure, l’explosion des usages de l’IA s’accompagne d’une hausse rapide et préoccupante de la consommation d’énergie. Plus inquiétant encore, une étude publiée en septembre du Centre for Economic Policy Research suggère qu’aux Etats-Unis l’insuffisante adaptation des infrastructures électriques a entraîné un recours accru aux énergies fossiles pour alimenter les centres de données.
Les grands modèles de langage (LLM), à l’origine de l’IA dite générative, contribuent de façon disproportionnée à l’augmentation de la consommation d’énergie : l’entraînement d’un seul modèle de pointe peut nécessiter plusieurs gigawattheures, et chaque requête consommer jusqu’à dix fois plus d’électricité qu’une recherche sur Google. Et cela ne prend même pas en compte le fait que les LLM sont encore dans une phase de développement précoce : pour l’heure, la course à la domination technologique pousse les champions mondiaux à construire des modèles de plus en plus complexes, la puissance de calcul doublant tous les cent jours.
Faut-il pour autant renoncer à tout espoir de réconcilier la révolution de l’IA avec nos objectifs environnementaux ? Notre réponse est non. En premier lieu, au cours de la décennie 2010, la consommation énergétique liée aux centres de données (data centers) a été contenue grâce aux gains d’efficacité énergétique spectaculaires des serveurs et des infrastructures.
La dynamique observée jusqu’à aujourd’hui paraît ainsi pouvoir être inversée par l’adoption d’un cadre institutionnel ambitieux, permettant de valoriser l’efficacité énergétique et le dimensionnement raisonné des modèles IA, selon les usages réels. Les premières recherches sur la question, dont une étude de l’Unesco publiée en 2025, montrent que la compression des modèles aboutit à des économies d’énergie considérables ; en particulier, l’adoption de petits modèles de langage (SLM), pour des applications spécifiques, réduirait la consommation énergétique d’un facteur 10 en conservant un haut niveau de précision.
De fait, il ne faut pas considérer l’IA comme une technologie homogène. En particulier, il faut savoir bien distinguer l’IA générative, très médiatisée, de l’IA spécialisée dans les systèmes de contrôle. L’IA spécialisée, plus discrète, est déjà au cœur de nos infrastructures énergétiques et contribue à en accroître l’efficacité. En exploitant les masses de données disponibles pour en piloter les usages, elle permet de réduire la consommation d’électricité et de la réallouer intelligemment.
Opacité délibérée
Les premières expérimentations à cet égard sont très prometteuses. Un exemple particulièrement illustratif est celui d’Octopus Energy. En partenariat avec l’université de Columbia, cette entreprise a démontré que sa solution de recharge intelligente pour véhicules électriques permettait de réduire de plus de 40 % la demande d’électricité domestique aux heures de pointe, en la reportant vers les heures creuses.
En parallèle, dans un projet commun avec notre collègue Lint Barrage, de l’université de Zurich, nous étudions les effets du déploiement par Veolia, en partenariat avec Purecontrol, d’un projet à grande échelle d’IA visant à améliorer l’efficacité énergétique et climatique des stations d’épuration. En couvrant environ 200 sites, le système IA de Purecontrol a collecté des données à haute fréquence sur les prix de l’électricité, la météo, les flux de capteurs et les échantillons de qualité issus des laboratoires, afin de maintenir une réplique numérique en temps réel de chaque usine. L’IA planifie ensuite les cycles d’aération et ajuste les dosages pour minimiser les coûts et la consommation d’énergie, tout en garantissant la qualité des effluents et le respect des seuils réglementaires.
Nos résultats préliminaires, obtenus à partir d’une quinzaine de sites, indiquent une réduction d’environ 10 % de la consommation d’électricité et des émissions de gaz à effet de serre, tandis que la consommation directe d’électricité de l’IA représente moins de 1 % des économies brutes d’énergie.
De nombreuses autres applications, pour les ménages, l’industrie ou la gestion des réseaux, confirment ce potentiel environnemental de l’IA. En particulier, l’Agence internationale de l’énergie considère que la consommation énergétique de l’industrie pourrait être réduite de près de 10 % d’ici 2035 par des applications de l’IA.
Pour évaluer l’impact énergétique net de l’IA, disposer d’évaluations indépendantes de l’empreinte environnementale de l’IA est désormais un enjeu crucial. Cependant, jusqu’à présent, la plupart des LLM demeurent entourés d’une opacité délibérée : leurs concepteurs publient rarement des données fiables sur la consommation d’énergie ou d’eau, et lorsqu’elles existent, les analyses sont souvent réalisées avec des méthodologies peu lisibles et un périmètre limité.
Sans une évolution institutionnelle qui oblige l’ensemble des entreprises à se montrer plus transparentes et plus ouvertes à des audits indépendants sur le bilan énergétique de leur utilisation de l’IA – à l’instar de Mistral AI qui a réalisé et publié la première analyse complète du cycle de vie d’un LLM –, l’objectif de réconcilier révolution de l’intelligence artificielle et transition écologique ne pourra être atteint, alors même qu’un tel but nous paraît pleinement réalisable.
Lemonde
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Commentaire
Le début est très intéressant. Il montre la difficulté de continuer dans le même sens car on court à la catastrophe.
La fin l’est moins ! Comme d’habitude. Pour tout problème nouveau, on fait voir malgré tout qu’il y a des problèmes … . mais on va les résoudre car, dans n’importe quelle situation, on ne peut pas faire autrement que de trouver des solutions avec l’IA, car …. on n’arrête pas le progrès, tellement durable, tellement profitable à l’Homme et à la nature.
Dans ce cas d’article le problème est que l’on sait que l’on consomme actuellement trop d’électricité et trop d’eau. Donc, on a trouvé ou on va trouver des solutions pour aller dans le sens indispensable de l’impossibilité de se passer de l’IA. Il faut faire confiance aux spécialistes ou aux apprentis-spécialistes.
Dans ce cas, on demandera aux entreprises d’être plus transparentes ! Ce n’est évidemment pas gagné – surtout quand on voit les méthodes de travail des grandes entreprises -, mais … à la fin, l’IA gagnera.
A noter aussi que le journal « Le Monde » consacre de plus en plus d’articles sur l’IA. C’est très important de faire rentrer dans le crâne des humains que l’on ne peut pas se passer de l’IA. Cette « propagande » est est presque à sens unique car il y a très peu d’articles de fond montrant les dangers mortels de l’IA sur l’environnement …