Écrans et risques pour la santé des enfants

Ce que dit la science

Passer trop de temps devant une télévision, un ordinateur ou un smartphone peut perturber le sommeil des jeunes, augmenter leur poids et retarder l’acquisition du langage. Les liens avec l’anxiété ou les troubles du neurodéveloppement sont plus difficiles à établir.

A quel point les écrans peuvent-ils affecter la santé mentale et physique des enfants et adolescents ? Alors que la vie numérique envahit le quotidien, la question taraude et divise familles, professionnels de l’éducation et de la santé, chercheurs… et politiques, jusqu’au plus haut niveau de l’État.

Le 30 avril, les dix personnes d’horizons divers mandatées par le président de la République en janvier pour explorer ce sujet lui ont rendu leur rapport. Intitulé « Enfants et écrans, à la recherche du temps perdu », il dresse un constat inquiétant assorti de vingt-neuf propositions. Certes, ce travail, fondé sur l’analyse de la littérature scientifique et de nombreuses consultations, est loin d’être le premier à alerter sur les dangers potentiels des écrans, et à recommander d’en limiter les usages. Mais il est marquant, notamment par son tour d’horizon complet des effets sur la santé et par sa fermeté à l’égard des entreprises du numérique. « Préempter ce nouveau marché, dans lequel nos enfants sont devenus la marchandise, est le nouvel axe de développement de quelques sociétés du numérique. Nous (…) ne pouvons les laisser faire », est-il écrit en préambule.

La première des propositions est d’ailleurs de « s’attaquer, pour les interdire, aux conceptions addictogènes et enfermantes de certains services numériques afin de redonner du choix aux jeunes ». Parmi leurs autres préconisations : protéger les enfants de moins de 6 ans de l’exposition aux écrans, ne pas attribuer de téléphone portable aux moins de 11 ans… Emmanuel Macron, qui avait donné un mois au gouvernement pour examiner les propositions et les traduire en actions, pourrait s’exprimer dans les prochains jours.

A l’international, les géants du numérique sont dans le collimateur. Aux États-Unis, Meta est notamment visé, depuis octobre 2023, par des poursuites de 40 États. Ils accusent ses applications Facebook et Instagram de nuire à la « santé mentale et physique de la jeunesse ». L’Europe, qui s’est dotée de deux règlements pour encadrer les marchés et les pratiques numériques (le Digital Markets Act et le Digital Services Act), multiplie aussi les initiatives pour tenter de protéger ses citoyens. La Commission européenne a ainsi annoncé, le 16 mai, l’ouverture de deux nouvelles enquêtes contre Instagram et Facebook, soupçonnés de favoriser les comportements problématiques chez les enfants et de manquer à leurs obligations de vérifier l’âge des utilisateurs.

Revenons à la science. Les effets délétères d’une exposition intensive des enfants aux écrans font consensus sur des paramètres de santé comme le sommeil ou le poids. Plus complexes à documenter, les conséquences sur les apprentissages, sur le neurodéveloppement et sur la santé mentale suscitent des débats parfois houleux quant aux liens de causalité. « Dans ce contexte, il faut appliquer le principe de précaution », assure le psychologue Grégoire Borst, professeur de psychologie du développement et de neurosciences cognitives de l’éducation à l’université Paris Cité, l’un des membres du groupe.

De fait, dans ces domaines, les études se multiplient mais peuvent comporter des biais, qui limitent leur portée. De surcroît, elles sont bien souvent en partie obsolètes à peine publiées, tant les usages évoluent rapidement. Pour obtenir des données plus solides, les chercheurs soulignent l’intérêt d’études de cohorte (telle Elfe, en France), éventuellement à partir de la naissance, avec des effectifs importants, et un suivi régulier très long. Des comparaisons entre groupes exposés aux écrans et groupes non exposés sont souvent complexes à mettre en œuvre, voire quasi impossibles, pour des raisons pratiques ou éthiques.

Tour d’horizon, en six points, des effets avérés ou soupçonnés des écrans sur la santé des enfants et des adolescents.

Un sommeil plus court et moins réparateur

Les chercheurs sont unanimes : « Les écrans et les usages qui en sont fréquemment faits, en soirée ou la nuit notamment, ont des effets négatifs directs et certains sur la quantité et sur la qualité du sommeil des enfants et des adolescents », relève le rapport remis à Emmanuel Macron. De nombreuses études attestent ces liens.

En France, en 2020, les adolescents dorment en moyenne 7 heures et 45 minutes par nuit, moins de 7 heures en semaine, bien moins que les 8 à 10 heures recommandées par la National Sleep Foundation pour les 13-18 ans (de 9 à 12 heures pour les 6-12 ans). Par ailleurs, 16 % des enfants de 11 ans et 40 % de ceux de 15 ans présentent un déficit de plus de deux heures de sommeil par jour, en semaine, selon le rapport.

Or l’insuffisance de sommeil favorise la survenue de troubles du métabolisme, notamment une surcharge pondérale, et de problèmes cardio-vasculaires ; elle réduit la fonction immunitaire, diminue les performances cognitives et les résultats scolaires, sans compter les problèmes de santé mentale (dépression, anxiété…).

Les experts soulignent que « la dette de sommeil favorisée par l’usage des écrans le soir et la nuit représente un facteur de risque indépendant d’anxiété et de dépression ». Un constat qui justifierait à lui seul des mesures restrictives, estime le neuroscientifique Michel Desmurget.

Un usage des écrans en cours de nuit, dès trente minutes, est associé à une multiplication par deux de risques de troubles du sommeil (privation, insomnie…), selon une enquête du Réseau Morphée, réalisée fin 2020 auprès de collégiens et de lycéens d’Île-de-France. C’est un cercle vicieux. « Plus le sommeil du jeune est perturbé, plus sa fatigue le conduira à privilégier des activités passives le lendemain, comme les écrans », souligne Patricia Franco, neuropédiatre à l’hôpital Femme-Mère-Enfant de Lyon. François-Marie Caron, ancien président de l’Association française de pédiatrie ambulatoire (AFPA) insiste sur le « couvre-feu numérique avec un arrêt des écrans d’une à deux heures avant le coucher ».

De la fatigue oculaire à la myopie

Gêne, fatigue et sécheresse oculaire, yeux qui piquent ou brûlent, maux de tête, vision floue, voire double… L’utilisation prolongée des écrans peut « potentiellement entraîner des symptômes oculaires et visuels », écrivait le Haut Conseil de santé publique dans un rapport publié en janvier 2020.

Surtout, « le visionnage intensif d’écrans a des effets néfastes pour la vue et pourrait entraîner des conséquences préoccupantes à long terme. (…) Les écrans contribueraient en particulier à l’épidémie de myopie qui touche les sociétés modernes », écrivent les auteurs du rapport « Enfants et écrans ».

En augmentation depuis le milieu du XXe siècle, ce trouble de la vue qui se traduit par une vision floue de loin s’est intensifié ces dernières décennies. Déjà en 2016, une étude parue dans Ophtalmology prévoit qu’en 2050 la moitié de l’humanité souffrira de myopie, et que 10 % de ces personnes auront une myopie sévère.

Certes, cette épidémie ne peut pas être imputée aux seuls écrans, la génétique et d’autres facteurs environnementaux intervenant. Néanmoins, les chercheurs s’accordent sur le fait que la myopie est favorisée par une sollicitation excessive de la vision de près, l’augmentation du temps passé en intérieur et donc le manque d’exposition à la lumière naturelle. « Il y a un impact fort de la qualité de la lumière que l’œil reçoit le jour et la nuit sur la myopie, son incidence et son développement, affirme Francine Béhar-Cohen, ophtalmologiste à l’hôpital Cochin (AP-HP) et directrice de recherche à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale. Le déséquilibre spectral des lumières artificielles (plus de bleu et moins de rouge) et les variations d’intensité lumineuse jouent un rôle dans l’incidence et le développement de la myopie, c’est indéniable. Mais leur part dans ce phénomène multifactoriel reste à définir. » Plus on est jeune, plus l’œil est sensible à la lumière bleue – plus importante notamment sur les écrans. Avant 8 ans, le cristallin laisse passer plus de 80 % des longueurs d’onde courtes, dans la gamme du bleu, alors qu’à partir de 25 ans ce passage diminue à 50 %, pour atteindre 20 % à 80 ans. La lumière bleue perturbe aussi la sécrétion de mélatonine, l’hormone qui règle notre horloge biologique et favorise notre sommeil.

Les restrictions sociales imposées lors de la pandémie de Covid-19 ont servi de laboratoire à des chercheurs afin de mesurer les effets des écrans sur la vision. Une augmentation de la myopie a été montrée en comparant deux cohortes longitudinales distinctes d’enfants âgés de 6 ans à 8 ans vivant à Hongkong, l’une constituée entre 2015 et 2018 pour un suivi de trois ans avec 1 084 enfants, l’autre, au début de la pandémie, avec 709 enfants. Dans la première, 12 % ont développé une forme de myopie, contre 30 % dans la seconde (British Journal of Ophtalmology, août 2021).

Moins d’activité physique

Les chiffres sont alarmants et ne cessent d’être martelés. En France, 37 % des enfants de 6 à 10 ans et 73 % des 11-17 ans n’atteignent pas les standards d’activité physique recommandés par l’Organisation mondiale de la santé, à savoir soixante minutes d’activité d’intensité modérée à soutenue chaque jour, selon des données reprises par l’Observatoire national de l’activité physique et de la sédentarité. Un enfant de 7 ans passe 50 % de son temps assis et un jeune de 15 ans, 75 %.

Pour beaucoup d’experts, l’association du manque d’activité physique et de la sédentarité est une bombe à retardement sanitaire. Elle augmente le risque d’obésité, mais aussi de diabète, de maladies cardiovasculaires, dont l’hypertension artérielle, et de certains cancers. En France, 15 % des 8-17 ans sont aujourd’hui en surpoids et 6 % sont obèses, selon la dernière enquête épidémiologique d’Obépi, avec un fort gradient social.

En cause, les écrans. « Les liens entre la place accordée aux écrans et les usages qui en sont faits, et la sédentarité et la moindre activité physique sont manifestes », note le rapport. C’est de surcroît, pour François Carré, cardiologue du sport, « un temps qu’on ne passe pas à faire autre chose, comme jouer dehors ».

« Si l’épidémie de surpoids et d’obésité ne saurait être imputable aux seuls écrans, leur utilisation excessive y contribue », insiste le rapport. Les liens entre les deux sont bien établis dans la littérature scientifique. « Quatre principaux mécanismes sont impliqués : l’usage des écrans incite à des prises caloriques immédiates ; les effets, parfois non conscients, de la publicité pour les produits de mauvaise qualité nutritionnelle ; la sédentarité ; et l’usage des écrans le soir est lié à une durée de sommeil insuffisante, facteur de risque d’obésité », résument Didier Courbet et Marie-Pierre Fourquet-Courbet dans un article paru dans la revue Obésité en 2019.

L’acquisition du langage perturbée

« Dès le quatrième mois, et donc bien avant l’accès au langage, l’enfant comprend ce qu’est une conversation. Lorsqu’il émet des sons, ses parents lui répondent. Et donc, moins il y a de mots prononcés par les parents, moins l’enfant aura accès au langage », pose d’emblée Marie Danet. Pour cette maîtresse de conférences en psychologie du développement à l’université de Lille, spécialiste de l’attachement, il y a un message à faire passer aux parents : « Un enfant au-dessous de 3 ans ne peut pas vraiment tirer profit des outils numériques parce qu’il a du mal à transférer des informations apprises sur les tablettes à la vie réelle. »

Lire aussi le reportage | Article réservé à nos abonnés « C’est un problème de santé publique » : dans une consultation pour de jeunes enfants « surexposés » aux écrans

Plus grave : le temps prolongé seul devant un écran au cours des premières années de la vie peut affecter les capacités cognitives, notamment l’acquisition du langage. Entrent évidemment en ligne de compte d’autres facteurs, notamment socio-économiques ou affectifs.

Ce consensus actuel provient d’une méta-analyse publiée dans la revue Jama Pediatrics en mars 2020, portant sur 18 905 enfants issus de 42 études, âgés de 35,7 mois à 44,4 mois. Elle montre que, dans l’ensemble, plus le temps d’écran est limité et l’âge de la première exposition tardif, meilleures sont les compétences langagières. Avec un bémol : le visionnage de programmes à haute valeur éducative et le covisionnage interactif avec les parents sont associés à un meilleur développement du langage.

Une vaste étude longitudinale australienne publiée dans Jama Pediatrics en mars confirme les effets délétères des écrans sur le développement du langage. Les chercheurs ont étudié, dans 220 familles, l’association entre le temps passé devant un écran et trois mesures du dialogue parent-enfant (mots de l’adulte, vocalisation de l’enfant et prise de parole). Des données ont été collectées tous les six mois au domicile familial, lorsque les enfants étaient âgés de 12, 18, 24, 30 et 36 mois. Résultat : chaque heure passée dans une journée devant un écran à 3 ans ferait passer l’enfant à côté d’environ 397 mots d’adultes, 294 vocalisations et 68 conversations, alerte l’étude. Mais ce n’est pas tout. « Il y a une vraie problématique d’exposition des enfants aux écrans, mais aussi des parents qui les utilisent à des moments-clés du développement du langage. Nos usages des outils numériques ont des répercussions sur le développement de nos enfants », souligne Grégoire Borst. C’est un exemple de ce que les scientifiques nomment « technoférence », perturbation des interactions liée aux appareils électroniques.

Paradoxalement, alors qu’un enfant devant un écran semble totalement concentré, ses capacités d’attention pourraient être perturbées. « Les écrans surstimulent l’attention réflexe et empêchent l’attention focalisée ou volontaire de se développer. Or cette compétence nécessite, pour grandir, la mise en suspens de tous les stimuli extérieurs », souligne Sabine Duflo, psychologue, fondatrice du Collectif surexposition écrans, qui alerte depuis des années, comme d’autres professionnels de terrain – orthophonistes ou enseignants –, sur les effets délétères des écrans sur les enfants. « Nous constatons tous les jours une détérioration des capacités d’attention et de langage, s’alarme-t-elle. On a voulu nous faire croire que les enfants pouvaient apprendre avec des outils numériques dits “éducatifs”, or l’appétence pour la communication et le langage comme moyen de communiquer et de penser ne peuvent se développer que dans l’échange avec un être humain, et pas avec une machine. »

Une revue de la littérature citée par les auteurs du rapport, parue dans Developmental Neuropsychology incluant onze études, montre qu’une exposition prolongée aux écrans des enfants de moins de 12 ans est associée à de moindres capacités attentionnelles.

Neurodéveloppement : des liens complexes

Une exposition précoce et intensive aux écrans peut-elle induire des troubles autistiques ou y ressemblant fortement ? Évoquée depuis 2017 en France par des professionnels de terrain (médecins, psychologues, orthophonistes…), inquiets de leurs constats chez leurs petits patients, cette hypothèse est vivement rejetée par la plupart des universitaires et chercheurs. « La commission [groupe d’experts] tient à indiquer que les troubles du neurodéveloppement [TND], dont le TDAH [trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité] ou les troubles du spectre de l’autisme, ne peuvent pas être imputables à l’usage d’un écran. Ces troubles sont en effet plurifactoriels et présents dès la naissance, ils ne peuvent en toute logique être causés par l’exposition, nécessairement ultérieure, aux écrans », assurent les rédacteurs du rapport remis à l’Élysée, sans référence à des articles scientifiques.

La formulation de TND « présents dès la naissance » est à nuancer, selon la professeure Diane Purper Ouakil, cheffe du service de pédopsychiatrie du CHU de Montpellier. « Ils auraient pu se contenter d’écrire que les études ne sont pas en faveur d’un rôle des écrans dans la survenue de TND », commente la pédopsychiatre. De fait, précise-t-elle, les principaux facteurs de risque de ces troubles sont génétiques et environnementaux – agissant pendant la période prénatale ou postnatale immédiate. Une combinaison de plusieurs d’entre eux est probablement à l’œuvre dans la majorité des cas, sans que les troubles eux-mêmes soient présents dès la naissance. « L’exposition aux écrans arrive bien après, probablement trop loin pour avoir un rôle, mais les publications sont délicates à interpréter, poursuit-elle. Toutes les études comportent des biais. Même lorsque les chercheurs essaient de contrôler les différents paramètres, il y a beaucoup de facteurs de confusion. »

Récemment, une revue de la littérature (Cureus, juillet 2023) a ravivé le débat en concluant : « Plus la période d’exposition aux écrans est longue, plus le risque que l’enfant développe un TSA [trouble du spectre autistique] est élevé. En outre, plus il est exposé tôt aux écrans, plus le risque de développer un TSA est élevé par rapport aux enfants exposés plus tard. » En décembre de la même année, un autre travail d’analyse des articles scientifiques, paru dans Jama Network Open, estimait, lui, que « l’association écrans-TSA n’est pas suffisamment étayée » et nécessite d’autres recherches scientifiques.

Lire cet entretien de 2018 | Article réservé à nos abonnés « L’exposition précoce aux écrans est un nouveau trouble neuro-développemental »

Qu’en est-il des effets chez des jeunes autistes ou avec un TDAH avéré ? Pour les auteurs du rapport, « une exposition excessive aux écrans peut aggraver des symptômes liés à ces troubles chez les enfants qui en souffrent ». A l’appui de cette assertion, ils citent une méta-analyse de 2014 et une revue de la littérature de 2018, où des auteurs néerlandais soulignent un lien, quoique statistiquement faible, entre les écrans et le TDAH chez les enfants et adolescents. Eux aussi insistent sur le besoin de recherches pour étudier la causalité, les mécanismes sous-jacents et la susceptibilité individuelle. Là encore, Diane Purper Ouakil reste circonspecte. « Ces données ne démontrent pas que les écrans aggravent les symptômes en tant que tels, indique la spécialiste, coautrice d’une déclaration de consensus internationale sur le TDAH, publiée en 2021. Certes, quand un jeune avec TDAH surinvestit les écrans et que les parents veulent réguler, c’est une source de conflit et il peut devenir plus explosif, mais, en soi, cela ne majore probablement pas la sévérité et l’évolution de ses troubles. »

« Les écrans semblent avoir un effet de loupe sur les troubles neurodéveloppementaux, comme le TDAH et les TSA, ou les troubles psychiatriques, résume le professeur Richard Delorme, chef du service de pédopsychiatrie de l’hôpital Robert-Debré (AP-HP, Paris). Par exemple, une exposition intense aux écrans va, dans certains contextes à risque, accroître l’intensité de l’isolement ou majorer la dépressivité de l’enfant, sans que cela signifie pour autant que les écrans sont la cause de ces troubles. »

Et Richard Delorme de citer une recherche sur une cohorte de 437 enfants japonais suivis de leurs 24 mois à leurs 40 mois. Ceux ayant un risque génétique élevé de développer un trouble autistique avaient également un temps d’écran important. Pour les auteurs de l’étude (Psychiatry Research, septembre 2023), cela suggère que les écrans ne sont pas un facteur causal, mais plutôt un signe précoce d’une attirance des autistes pour les objets plus que pour les rapports humains. Des constats qui appellent en tout cas à la prudence dans la gestion des temps d’écran chez les enfants à risque. Le chercheur Michel Desmurget est plus radical : « Un grand nombre d’études, qui ne figurent pas dans le rapport, contredisent les théories lénifiantes qui tendent à minimiser l’impact des écrans sur le neurodéveloppement », estime-t-il.

Anxiété, dépression : les réseaux sociaux en question

La crise sanitaire et les confinements ont mis en lumière les problèmes de santé mentale des enfants et adolescents. Elle reste, depuis, dégradée en France. En 2022, seule la moitié des collégiens et lycéens présentent « un bon niveau de bien-être mental », selon l’enquête nationale EnCLASS de Santé publique France, menée entre 2018 et 2022 auprès de près de 10 000 élèves et publiée en avril 2024. Elle observe aussi « une part non négligeable de jeunes présentant un risque de dépression et déclarant un sentiment de solitude, des plaintes psychologiques et/ou somatiques ou des pensées suicidaires ».

La responsabilité des écrans est souvent montrée du doigt. « La commission considère que les éléments sont suffisants pour indiquer qu’une consommation excessive des réseaux sociaux constitue un facteur aggravant de risque pour les jeunes présentant des vulnérabilités », écrivent les auteurs du rapport. Un terme que précise la neurologue Servane Mouton, coprésidente de ce groupe de travail : « La vulnérabilité peut concerner n’importe quel adolescent à un moment donné, l’adolescence étant une période très particulière où on est bien plus sensible à la remise en question, à l’image de soi, à ce que nous renvoie l’autre. »

Pour autant, le rapport ne diabolise pas les réseaux sociaux. Ils « peuvent avoir des effets contrastés, et les études scientifiques manquent aujourd’hui pour établir un lien de causalité entre ces réseaux et le bien-être mental des jeunes », d’autant que celui-ci est « toujours multifactoriel et dépend de facteurs individuels, familiaux et environnementaux ».

Le débat autour des réseaux sociaux, et plus largement autour des smartphones, est vif, notamment aux États-Unis. D’un côté, il y a ceux qui sonnent l’alarme, tel le psychologue social Jonathan Haidt, auteur du livre très médiatisé The Anxious Generation (Allen Lane, 400 pages, 27 euros, non traduit). Il défend l’idée que la forte augmentation de l’anxiété, de la dépression, de la solitude, etc., chez les jeunes est directement liée à l’usage abusif des smartphones. « D’autres chercheurs, tels que Jeff Hancock [chercheur en communication et en psychologie et professeur à l’université de Stanford], sont moins catégoriques et évoquent une association (et non une causalité) limitée entre la consommation des médias sociaux et l’augmentation de la dépression et de l’anxiété », indiquent les auteurs du rapport. Candice Odgers, professeure de psychologie à l’université de Californie, a dénoncé dans un article paru dans Nature « la confusion entre corrélation et causalité », et estime qu’« attribuer la cause du mal-être aux écrans pourrait empêcher de s’attaquer aux véritables causes de la crise actuelle de la santé mentale des jeunes : inégalités sociales, racisme, etc»

Il n’empêche que les écrans sont parfois associés à des comportements d’enfermement, de coupure à l’égard du réel. Certains jeunes ne sortent pas, n’ont que des « amis » virtuels. Cependant, les réseaux sociaux peuvent favoriser les échanges et aider à maintenir les liens amicaux et familiaux. « La conception même des réseaux sociaux les plus populaires aujourd’hui n’est pas acceptable, leur économie reposant sur la captation de l’attention et l’emploi de processus addictogènes », souligne Servane Mouton.

« Ceux qui allaient mal vont encore plus mal avec un très fort déficit d’empathie », constate Catherine Jousselme, professeure de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, et pédopsychiatre au centre hospitalier des Alpes du Sud, qui se dit « affolée du nombre croissant d’enfants et d’adolescents qui souffrent de refus scolaire anxieux et d’anxiété ».

Certaines études trouvent un lien entre un usage intensif des réseaux sociaux et des problèmes de santé mentale. Dans un rapport de mai 2023 du responsable du service de santé aux États-Unis, Vivek Murthy craint que les réseaux sociaux, utilisés « presque constamment » par plus d’un tiers des 13-17 ans, « soient un moteur important de la crise de santé mentale ».

Un rapport d’Amnesty International intitulé « Poussé·e·s vers les ténèbres », publié en novembre 2023, montre que le système algorithmique utilisé par TikTok pour capter l’attention oriente vers des vidéos pouvant être nocives pour la santé mentale, certaines allant vers l’idéalisation du suicide

La commission insiste d’ailleurs sur les fonctionnalités des médias sociaux, dont les algorithmes mettent en avant les contenus inappropriés (violents, haineux, pornographiques, etc.). « Quand un enfant ou un adolescent passe beaucoup de temps sur les réseaux sociaux ou les jeux vidéo, il faut chercher s’il n’est pas touché par une dépression », préconise François-Marie Caron, l’ancien président de l’AFPA.

La question de l’addiction est posée. Le terme est reconnu dans le domaine des jeux vidéo. Le trouble du jeu vidéo est défini, début 2022, dans la classification internationale des maladies (CIM-11) par « un comportement qui se caractérise par une perte de contrôle sur le jeu, une priorité accrue accordée au jeu, au point que celui-ci prenne le pas sur d’autres centres d’intérêt et activités quotidiennes, et par la poursuite ou la pratique croissante du jeu en dépit de répercussions dommageables ».

Les écrans stimulent le « système de récompense » qui libère la dopamine. Nombre de jeunes reconnaissent que TikTok ou Instagram sont addictifs, qu’ils regardent des vidéos en boucle et ressentent, disent certains, « le besoin d’aller voir, comme pour la drogue ».

Mais peuvent-ils être véritablement classés comme une addiction, constituée par l’impossibilité répétée de contrôler un comportement apportant du plaisir et permettant d’échapper à un inconfort psychique ? Selon Servane Mouton, « les médias sociaux présentent des éléments de conception de type addictogène qui conduiront probablement à une reconnaissance en tant que telle dans les années à venir ».

Sans attendre les annonces gouvernementales, des initiatives ont fleuri depuis des années, notamment en milieu scolaire, visant à mieux contrôler l’usage des écrans.

Une application pour mieux gérer son usage des écrans

Des programmes de recherche internationaux sont en cours. Ainsi du projet BootStRaP, financé par l’Union européenne, qui fait collaborer des scientifiques de quatorze pays, principalement européens. Il a pour objectif d’éclairer les politiques publiques et les pratiques, afin de réduire les conséquences de l’utilisation problématique d’Internet (temps passé, sites consultés, etc.) sur la santé mentale des adolescents.

Pour cela, une série d’études est lancée, incluant des milliers de jeunes. L’une vise à « développer une application permettant aux utilisateurs d’avoir des feed-back sur leur activité et des conseils personnalisés pour prévenir les usages problématiques », explique la pédopsychiatre Diane Purper Ouakil (CHU de Montpellier), investigatrice principale pour la France.

Dans un premier temps, poursuit-elle, « les chercheurs établiront le “phénotype numérique” des participants, selon leurs habitudes de consommation des écrans. L’application sera ensuite élaborée avec deux versions, selon le profil d’utilisation compulsif (A) ou impulsif (B) des utilisateurs. Elle sera enfin testée de façon randomisée avec trois groupes ». Un groupe utilisera la version A, l’autre la version B. Dans le troisième, les participants auront accès à l’une ou l’autre des versions selon leur profil individuel.

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Pour lire le document complet … avec des images significatives :

https://www.lemonde.fr/sciences/article/2024/05/27/ecrans-enfants-accros-chercheurs-inquiets_6235892_1650684.html?random=37017896