Le projet fou de Bruxelles
La Commission européenne, selon un document obtenu par Reporterre, entend imposer à l’État français la désintégration du groupe EDF au nom du respect des règles de la concurrence. La « réforme » de Bruxelles va encore plus loin que le projet gouvernemental Hercule, qui veut démembrer EDF.
Lancée quasiment depuis l’entrée en fonction d’Emmanuel Macron à l’Élysée, la réorganisation d’EDF serait sur le point d’aboutir. Début octobre, l’agence Reuters annonçait ainsi la finalisation du projet baptisé « Hercule » dans les prochaines semaines ou mois selon des sources informées.
Durant l’été 2020, plusieurs étapes essentielles ont ainsi été franchies. La Commission de régulation de l’énergie (CRE), le « gendarme » du secteur, a publié, fin juillet, un rapport favorable à la réforme de l’Arenh (Accès régulé à l’électricité nucléaire historique), qui règle le tarif d’accès au nucléaire historique d’EDF. Ce tarif permet aux concurrents de pouvoir acheter jusqu’à 100 térawatts-heures (TWh) par an à un tarif bloqué de 42 euros par mégawatt-heure (MWh). Début septembre, le site d’informations Contexte dévoilait un rapport non publié de la CRE sur le coût de production du nucléaire historique : 48 euros par MWh, alors qu’EDF aurait indiqué au cours d’une réunion un chiffre de 53 euros par MWh. Selon nos informations, la CRE a programmé, le 14 octobre, une réunion avec les fournisseurs alternatifs d’électricité pour leur présenter le futur système qui remplacera l’Arenh.
Faire porter le secteur le plus déficitaire — le nucléaire — à l’Etat, donc au contribuable
La refonte de l’Arenh est considérée par EDF comme un préalable à sa réorganisation et à la mise en œuvre du plan Hercule. Ce plan prévoit la scission du groupe en plusieurs parties : une société baptisée Bleue pour le nucléaire historique, détenue à 100 % par l’État ; Bleue serait actionnaire à 100 % d’une société Azur, qui récupérerait les barrages hydroélectriques, ce qui permettrait d’échapper à la mise en concurrence des concessions échues ; enfin, une société Verte, détenue à 65 % par l’État, dans laquelle seraient logées les énergies renouvelables, la commercialisation, la distribution et les autres activités en concurrence comme Dalkia. Cette réforme risque fort de faire porter le secteur le plus déficitaire — le nucléaire — à l’Etat, donc au contribuable, tandis que les activités plus rentables — renouvelables et distribution — seraient privatisées. Face à l’opposition des syndicats, EDF et l’État ont promis que ce projet ne remettrait pas en cause l’intégrité du groupe.
C’était sans compter avec la puissante Direction générale de la concurrence de la Commission européenne, qui veille au strict respect du dogme de la concurrence pure et parfaite. Bien obligé de venir au secours d’un EDF surendetté (il traîne une dette financière brute de 61 milliards d’euros à fin 2019) alors que le groupe est face à un mur d’investissements, notamment pour maintenir ses vieilles centrales nucléaires et renouveler son appareil de production, l’État doit en effet faire valider le plan de sauvetage de l’électricien par Bruxelles. Et on ne peut pas dire que les services de la Commission soient laxistes.
Dans un document rédigé en mai dernier à l’issue de discussions avec la direction générale de la concurrence, que Reporterre a obtenu (lire ci-dessous), l’Agence des participations de l’État, qui porte la participation publique (83 %) au capital d’EDF, a expliqué au pouvoir politique les exigences de l’Europe. Et elles sont ahurissantes.
« Sauvegarder un simulacre de concurrence, en ignorant les enjeux techniques, économiques, écologiques et industriels dus secteur »
Les titres des deux premiers paragraphes donnent le ton de la position extrémiste de la Direction générale de la concurrence. « La position de la Commission européenne consiste à privilégier une holding sans rôle opérationnel ni contrôle sur ses filiales et une indépendance entre celles-ci […] Cette position entraînerait l’impossibilité de maintenir un groupe intégré et irait au-delà des exigences posées par les textes européens » !
Selon l’auteur de la note, la Direction générale de la concurrence justifierait la désintégration juridique, financière, comptable et opérationnelle du groupe par « l’ampleur de l’aide qui serait octroyée à EDF du fait du SIEG (service d’intérêt économique général, le service public dans le jargon bruxellois) […] afin d’éviter que le soutien au nucléaire régulé ne profite d’une quelconque manière aux autres entités du groupe ». En définitive, si les demandes de l’Europe étaient acceptées par la France, il s’agirait d’un démantèlement pur et simple d’EDF.
Selon nos sources, la position de la Commission européenne n’aurait pas bougé de cette ligne depuis cette date. Contactée par Reporterre, la Direction générale de la concurrence a refusé de répondre à nos questions, tout en précisant que les négociations continuaient avec la France à propos de la réforme de l’accès régulé au nucléaire. L’Agence des participations de l’État a refusé, elle aussi, de nous répondre.
Mais ce document confirme les craintes des syndicats de l’électricien qui depuis plusieurs mois dénoncent le plan Hercule et ses conséquences (un démantèlement) pour l’entreprise. « L’avenir du secteur électrique, et donc de la transition énergétique, se négocie dans l’ombre à Bruxelles avec un seul crédo : sauvegarder un simulacre de concurrence, en ignorant les enjeux techniques, économiques, écologiques et industriels de ce secteur et malgré le bilan indéfendable de cette politique », déplore ainsi Anne Debregeas, la porte-parole du syndicat Sud Énergie, qui souligne que cette « désoptimisation » forcée du système électrique français se traduira forcément par une hausse des factures d’électricité pour les abonnés. La concurrence est déjà la responsable des dernières hausses du tarif grand public d’EDF.
reporterre.net